Chapitre 207 : La tristesse d'un dragon

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 Sur le sol de la demeure de Shavi, le groupe venu pour récupérer le fragment des partitions d'Athéa se relevait péniblement. Voir et sentir la tragédie qu'avait vécue le dragon au travers de ses propres yeux avait été quelque chose de déstabilisant pour la plupart d'entre eux. En vérité, seul Shay ne semblait pas affecté, sans doute parce qu'il connaissait déjà l'histoire de son frère.

— Alors... commença Telak. Vous êtes le dragon qui a attaqué Sendra il y a deux-cents ans. Et ce mage que vous avez tué, c'était Volach.

— Je me fiche de son nom ! s'emporta le dragon noir.

— Ce qu'ils ont fait est horrible, commenta Phi, au bord des larmes.

— À présent, vous savez pourquoi vous n'êtes pas les bienvenus ici. Maintenant, partez avant que je ne change d'avis pour vous réserver un sort moins enviable.

Pour bien faire comprendre qu'ils n'avaient plus rien à faire en ces lieux, Shavi leur tourna le dos et fixa la fenêtre à laquelle il était collé. Même si ce drame avait eu lieu bien avant leur naissance à tous et qu'ils n'y étaient pour rien, le dragon continuait de considérer tous les mages comme responsables de la perte de sa bien-aimée.

Seule personne à pouvoir l'approcher sans craindre pour sa vie, Elyazra se rendit jusqu'à son père. Dans son dos, la jeune femme passa ses bras autour de la taille du dragon et posa sa tête sur son épaule.

— Pourquoi tu ne m'en as jamais parlé ? demanda-t-elle.

— Je comptais le faire lorsque tu aurais été en âge de comprendre, mais on m'a privé de toi avant que ce jour n'arrive, souffla-t-il.

— J'ai toujours cru que tu étais ainsi à cause de moi. J'ai toujours pensé que tu étais triste parce que ma mère avait donné sa vie pour me mettre au monde...

Si Elyazra attendait de la part de son père une réponse, elle fut d'autan plus déçue par son silence et son manque de réaction. Ce qu'elle avait dit sur sa mère n'était, au final, qu'une supposition vu qu'il n'en avait jamais parlé. Elle ne connaissait même pas son nom et elle était certaine que l'Elyazra qu'il avait tant aimé ne pouvait pas être sa mère vu qu'elle était une elfe et qu'elle était morte cent quatre-vingts ans avant sa propre naissance.

— Je t'en prie, dis-moi quelque chose, implora-t-elle.

— Tu as tort, répondit-il.

— Tort ?

— Tu n'as jamais été la source de ma tristesse, bien au contraire. Chaque jour passé en ta présence m'apaisait, me donnait une raison de vivre et soulageait la peine qui s'était depuis trop longtemps installé dans mon cœur. Jour après jour, je sentais que je sortais de cet état léthargique et pensais de plus en plus à quitter cette île avec toi. Cet endroit n'était pas fait pour une jeune fille pleine de vie comme toi.

— Alors pourquoi nous ne sommes pas partis ?

— Je n'étais pas encore tout à fait prêt, avoua-t-il. Je craignais qu'il ne t'arrive quelque chose à toi aussi, que ce cauchemar recommence.

— Mais le monde n'est pas fait de personnes comme ceux que tu nous as montré. Ces personnes ici sont mages et je sais que chacun d'entre eux se serait interposé s'ils avaient assisté à ça. Je leur confierai ma vie sans hésiter si c'était nécessaire.

Avec cette dernière phrase, Elyazra réussit à étonner Shavi qui se retourna et posa son regard sur ceux qu'il considérait comme des intrus. Un à un, chacun eut l'impression qu'il observait au-delà du visible et sondait leur âme. Il évita de croiser le regard de son frère, puis s'intéressa à Syara.

— Tu lui confirais ta vie ? À elle ? s'étonna-t-il.

À cet instant seulement, le groupe entier remarqua que la beast n'était pas à leur côté, mais recroquevillé dans un coin de la pièce. Ses bras entouraient ses genoux qu'elle avait ramenés contre elle et sa tête était enfouie dans le creux ainsi créé.

— Syara ? appela la demi-dragonne en s'approchant prudemment.

— Ely... gémit faiblement la violoniste.

— Ça ne va pas ?

— Ils me l'ont prise, pleura-t-elle. Elle était tout pour moi.

Tandis qu'Elyazra se stoppait dans son avancée, ne comprenant pas ce qui lui arrivait, Shay se précipita vers Syara et s'accroupit devant elle, son visage trahissant une grande inquiétude.

— Syara regarde-moi ! ordonna-t-il.

— Elle n'avait rien fait de mal, c'était la personne la plus douce qui soit, continua la beast.

— Que lui arrive-t-il ? se demanda Shavi.

— Il lui arrive qu'elle est l'héritière de Fos. Que ce soient les bons ou les mauvais côtés. Les émotions fortes et incontrôlables ne sont pas bonnes pour elle et tu viens de lui montrer la pire chose qui soit. Elle n'a pas assisté à ce que tu nous as montré, elle l'a vécu comme si elle était toi !

— Tu veux dire que...

— Regarde-moi ! hurla le dragon d'or juste devant la violoniste.

Lentement, Syara releva la tête. Ses yeux étaient rougis par le flot de larmes qui coulait le long de ses joues. Son visage était déformé par une tristesse incommensurable qui donnait l'impression qu'elle venait tout juste de perdre quelqu'un de très proche d'elle.

Mais, plus important et plus inquiétant, une marque circulaire et brillante était apparue sur son front. Celle-ci vibrait, s'agrandissait et se rétrécissait tel des pulsations d'un cœur.

— Syara, calme-toi. Cette tristesse n'est pas la tienne, oublie ces souvenirs qui ne t'appartiennent pas.

— Je ne peux pas, ça fait trop mal, répondit-elle en posant une main sur son cœur. Elle était tout pour moi...

— Ressaisis-toi !

— Et ils me l'on prise, continua-t-elle tout de même.

— Ces souvenirs ne sont pas les tiens ! répéta Shay avec insistance.

— Ils me l'on prise... Et ils vont me le payer, souffla-t-elle.

Son visage jusque-là déformé par la tristesse se mut en une expression de haine. La rune sur son front pulsa de plus en plus vite et commença à se fissurer alors que son intensité lumineuse ne cessait de croître.

— Syara, contrôle-toi ! hurla le dragon.

N'en pouvant plus, la beast ferma les yeux et poussa un cri terrible de douleur qui donnait l'impression qu'elle venait de se faire broyer les membres. Puis, plus aucun cri. Sa respiration s'apaisa et Syara ouvrit ses yeux qu'elle posa sur Shay. Des yeux totalement noirs aux pupilles rouges.

Le violon de cristal : les partitions perdues (suite)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant