Chapitre 199 : Le maître de l'île

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 Prenant la tête du groupe, Elyazra arborait un visage fermé, sérieux et déterminé. Son seul sourire avait été, peu après leur rencontre avec l'inquisiteur, lorsqu'elle avait dit à Syara qu'au final, elle avait de la chance de dormir aux côtés d'une princesse.

Princesse d'une île qu'elle considérait comme pourrie, se rappela la beast. C'était à se demander qui voulait un titre comme celui-ci. Il n'y avait tout à jeter ici. Les habitations rongées par l'air salin, la moiteur des rues, les odeurs de moisi mêlées à celles de poissons, les habitants tarés et fanatiques. S'il n'y avait pas la mine de pierres précieuses, il y a bien longtemps que cet endroit serait désert.

Malgré tout, il ne l'était pas, et cela se voyait. La nouvelle du retour d'Elyazra avait fait le tour de l'île aussi vite que courrait l'inquisiteur et les habitants sortaient de leur maison pour l'apercevoir. Se dire que chacune de ces personnes pouvait leur sauter dessus parce qu'ils étaient mages avait quelque chose de peu rassurant, pourtant, ils ne bougeaient pas et les regardaient remonter la rue principale, en silence ou se contentaient de les suivre en gardant une distance respectable.

Au bout de celle-ci, sur une colline surplombant toute la ville, un manoir avait été construit et ne semblait pas souffrir du même mal que le reste des habitations. Les murs sombres lui donnaient certes un air lugubre, mais il était en bon état et n'avait aucune trace de mousse verdâtre dessus.

Celui-ci était entouré d'une grille de plusieurs mètres de haut qui se finissait par des piques acérés qui rajoutaient encore une couche au caractère inhospitalier de l'endroit. Elyazra ne se soucia même pas de cela et ouvrit le portail sans même s'arrêter devant. Elle emprunta ensuite le chemin qui menait vers la porte d'entrée, toujours suivie par le reste du groupe.

À une fenêtre du premier étage, Syara aperçut une silhouette noire. Elle ne distingua de cette personne que deux yeux jaunes, les mêmes que ceux de la demi-dragonne, qui suivait leur avancée sur le chemin. Autre fait étrange, les villageois qui les avaient suivis s'étaient arrêtés à la grille et ne semblaient pas vouloir s'aventurer au-delà.

En poussant la porte d'entrée, Elyazra fit découvrir à ses amis un grand hall d'entrée fait en marbre noir. On ne pouvait nier que cela donnait à cet endroit un certain cachet, mais il transpirait aussi l'austérité, comme s'ils n'étaient pas les bienvenus ici.

— Suivez-moi, il se trouve à l'étage, annonça Elyazra.

— Attend ! demanda Syara.

Ayant déjà gravi les premières marches de l'escalier qui menait à l'étage, la demi-dragonne s'arrêta et se tourna vers la beast en la regardant d'un air interrogateur.

— Pourquoi ?

— Pourquoi quoi ? s'impatienta-t-elle.

— Pourquoi tu agis comme ça ? Lorsque tu m'as parlé de ton père, tu semblais triste de ne pas avoir pu le voir. Là, j'ai l'impression que tu as l'intention de l'affronter.

— Je donne vraiment cette impression ? s'étonna Elyazra.

Pour toute réponse, tous les membres du groupe hochèrent la tête.

— Ça n'est pas à lui que j'en veux, mais à Shay, souffla-t-elle. Je m'étais promis de revenir ici, mais je voulais aussi choisir le moment. En étant forcée d'y retourner maintenant, j'ai l'impression de ne pas être prête, de ne pas savoir quoi dire quand je serais devant lui. Ce doit être pour ça que je donne l'impression d'avoir envie d'en finir au plus vite.

— Je comprends, assura le dragon. Mais ne t'en fait pas, les mots viendront d'eux-mêmes. Il sait que tu n'y es pour rien dans ce qui t'es arrivé... Moi par contre.

— J'ai un peu de mal à suivre, avoua Rael.

— Vous comprendrez le moment venu, trancha Shay.

Visiblement, cette courte discussion avait fait du bien à Elyazra qui ne marchait plus en tête et deux mètres devant, mais plutôt aux côtés de ses amis. Arrivés à l'étage, ils suivirent Shay qui les mena à un grand salon. Dos à eux et observant l'extérieur par la fenêtre, un homme se tenait là, bien droit et les mains croisés dans le dos.

— Tu as un sacré culot pour revenir ici après ce que tu m'as fait, mon frère, cracha-t-il sans même se retourner.

— Papa ? appela faiblement Elyazra.

— Et toi... Tu as disparu du jour au lendemain. Tu l'as suivi, sans te poser de question... Sans même me prévenir.

— Je ne lui ai pas laissé le choix, la défendit Shay.

— Pourquoi ?! s'énerva-t-il, faisant enfin face au groupe et balayant toutes les affaires qui se trouvaient sur le bureau à proximité. Dis-moi ! Pourquoi tu m'as enlevé ma fille ?

— Pour la protéger, répondit-il calmement.

— Parce que je suis un dragon noir et que par conséquent, je suis mauvais ? Parce que je ne pouvais pas lui assurer d'être heureuse ?

— Ça n'est pas de toi que j'ai voulu la protéger, mais d'elle-même et de ce que tu as créé sur cette île.

— J'ai instauré cette loi pour ne plus que les mages viennent m'importuner !

— La peur que tu as insufflée dans le cœur de ces personnes était dangereuse pour ta fille ! Si elle était restée ici, ils auraient essayé de la tuer ! Le sang de dragon coule dans ses veines et l'adolescence est une période difficile où elle ne contrôlait pas ses pouvoirs ! Tu ne veux pas quitter ton île et tu n'aurais jamais accepté que je l'éloigne de toi, voila pourquoi je l'ai emmenée sans t'en parler !

— Je t'en pris papa, écoute-le, supplia Elyazra. Je n'ai jamais souhaité m'éloigner de toi et ça n'était pas son intention non plus. Il y a quelques années, j'incendiais des forêts entières au moindre faux mouvement. Les villageois s'en seraient pris à moi si j'étais resté. Même enfermée dans le manoir, tu n'aurais pas pu le cacher.

— Plus de dix ans, se lamenta-t-il. Dix ans sans savoir pourquoi tu m'avais enlevé la seule chose qui apportait un peu de gaîté dans ma vie. Pas une visite, pas une lettre, rien qui ne m'indique où tu l'avais emmenée.

— Nous nous sommes installés au nord des chaînes d'Hara, à l'est de la ville de...

— Sendra, compléta le père d'Elyazra. Tu ne voulais vraiment pas que je la retrouve.

— Apprendre tout cela me peine et je compatis sincèrement à votre chagrin, intervint Syara. Mais je ne comprends pas une chose. Pourquoi détestez-vous autant les mages ?

— Tu compatis sincèrement ? rit le dragon noir. Tu veux savoir pourquoi je déteste tous les tiens ? Eh bien je vais te le montrer.

— Shavi, non ! hurla Shay.

Trop tard, le dragon noir ne l'écouta pas et tendit sa main en direction du groupe. Tous, sans exception, tombèrent au sol, inconscients.

— Voyez ce que vous m'avez fait. Assistez à votre propre décadence... Et vivez ce drame comme je l'ai vécu.

Le violon de cristal : les partitions perdues (suite)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant