57. L'ultime fléau

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« C'est vide » commenta la tortue qui flottait à côté de lui.

Aussitôt, et bien que chaque chose gardât sa place, sa forme et sa nature, le rêve s'effondra en tant que rêve et Maître Wei se révéla en tant que maître, bien qu'il fût toujours une tortue. Le prince Eil, quant à lui, était un furet. Cela ne lui aurait pas plu. Mais son rêve ne comportait aucun miroir, aussi l'ignorait-il.

« Que faites-vous ici ? Nous sommes chez moi » pesta le prince, car c'était là son unique certitude.

Maître Wei semblait vouloir le faire enrager, car il se mit aussitôt à flotter parmi les décorations encagées ; des arbres, mais pas seulement. Il se trouvait ici aussi des solains et des solaines, petites statues souriantes, et des choses moins avouables encore.

« Vous avez un problème avec le pouvoir, diagnostiqua Wei.

— Sortez d'ici.

— Vous avez raison. »

Ils furent tous les deux expulsés du rêve. Le prince regagna son corps ; Maître Wei redevint face à lui ce petit solain chétif, à la peau parcheminée, aux cornes striées, rayées par l'âge, dont le sourire permanent lui courait sur les nerfs.

« Que voulez-vous ?

— Vous n'ignorez pas que le monde est en train de sombrer sous l'effet du deuxième Fléau et de la mort de Hela. »

Il l'ignorait, mais le prince pressentit que pour garder la face, il devait hocher la tête d'un air sombre.

« Les dieux ont décidé que Sol Finis devait disparaître ; l'ombre est partie des Confins et roule dans notre direction. Quant à Hela, j'ignore pourquoi, peut-être se sont-ils affrontés entre eux. En tout cas nous sommes un monde promis aux ténèbres ; les lueurs dans le ciel sont les derniers feux de la machine qui s'éteint.

— Et alors ?

— Nous avons besoin de gagner du temps. Je suis presque sûr que nous sommes en mesure, aujourd'hui, d'atteindre les Étoiles lointaines. La Capitale se situe au centre du monde, à peu près : ce sera le point de convergence du Fléau. Nous pouvons faire entrer des milliers de solains entre ces murs : ils seront protégés quelques heures de plus. Le temps pour nous de mettre en place un pont en direction du Cercle de Lumière. »

Le prince ajoutait mentalement un « peut-être » devant chaque phrase, chaque mot. Le discours de maître Wei en fut particulièrement alourdi, et ne lui parut donc guère digne de confiance.

« Hors de question. Vous avez vu ce qui se passe dehors.

— J'ai vu, en arrivant, que le peuple priait ses dieux et demandait son prince.

— Oui, eh bien ?

— Les uns l'ont trahi et l'autre ne lui sera d'aucun secours. Nous n'avons pas besoin de vous, prince : je prends les commandes.

— Vous voulez rire ! »

Mais Wei ne riait plus ; en revanche, le prince Eil, lui se mit à rire. Un fou rire irrésistible, incontrôlable, qui le laissa ahanant sur les dalles de pierre, vidé de ses forces, vidé aussi de la plupart de ses pensées. Il se dit qu'il avait faim et, se levant tel un automate placide, se mit en quête de quoi assouvir ce besoin important.


***


Bien qu'assigné à résidence, sans nouvelles du prince Eil ni de ses espions dans la capitale, l'Intendant El Golgar en conclut qu'il était le seul à la barre de Sol Finis.

Sol FinisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant