60. L'horizon de mes rêves

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D'ordinaire, la question des chemins se pose peu dans la Noosphère. Les rêves sont une matière malléable, protéiforme, ils s'interconnectent si densément que quelques sauts peuvent mener en tout point de l'univers. Pour qui connaît toutes les portes dérobées et les secrets de leurs gardiens endormis.

Mais mille millions d'années-lumières, un milliard de milliard de lieues de vide, s'étendaient entre Sol Finis et le reste de l'univers.

La traversée de ce vide absolu, sans lumière, serait le grand voyage. La transmigration. Livenn ne faisait jusqu'à présent que marcher jusqu'à la jetée. Elle espérait que la horde des photosaures lui serait alors visible, que le peuple solain pourrait s'accrocher à ces géants et les suivre dans leur périple.

Combien de fois suis-je déjà venue ici ? Se demanda-t-elle.

Combien de fois avait-elle déjà marché jusqu'à la voûte céleste de Sol Finis, la véritable frontière de leur Noosphère locale ?

Il nous faudra marcher plus loin que nos rêves, se dit-elle tandis que le ciel dévoilait son habituel cercle d'Étoiles. Sur ce fond indigo, vierge de toute autre lumière, les astres promis résonnaient avec une étrange proximité. Certes, elles n'avaient jamais été aussi proches ; mais un voyage unique dans l'histoire de l'univers serait encore nécessaire pour les mériter.

Une silhouette apparut dans le coin de son champ de vision, qui se dissolut aussitôt en nuage de fumée. Un écho d'elle-même. Si tous ces reflets pouvaient s'interpoler en image fidèle, devait-elle s'attendre à voir réapparaître Nadira ?

Les étoiles projetaient de grandes auras de lumière au-devant ; Livenn avait encore à émerger de l'ombre, comme une compétitrice inattendue des astres lointains. Seule la consistance du sol, une terre argileuse couverte d'un tapis végétal, la guidait et la rassurait sur la nature de ce rêve.

Puis le sol s'arrêta net. Elle crut d'abord à une crevasse, mais en y plongeant son regard, Livenn perçut des reflets lointains de lumière, traversés de champignons brumeux. Sol Finis. Le Monde Solitaire, bien que réduit à sa plus petite expression, lui apparaissait dans toute son étendue. La Barrière montagneuse entourait cette plaine rocheuse et poussiéreuse, asséchée et crevassée, tandis qu'un voile d'ombre l'encerclait, l'anneau constricteur d'un serpent maléfique. Sol Finis vibrait comme un mastodonte animal, proche de sa fin, dont les inspirations s'écartent dans le temps. Une étrange impression de paix l'étreignit.

Devant elle se trouvait la maison de ses parents.

Elle entra dans le disque de lumière projeté par une des étoiles. Les frontières de cet îlot rocheux, suspendu dans le ciel, lui apparurent clairement. Elle ne se trouvait pas seulement à l'horizon de la Noosphère, mais aussi de ses propres rêves. La présence de cette maison ne pouvait être le fruit du hasard.

Livenn était née ici. Cette petite ferme à la campagne avait constitué son havre de paix, en un autre temps.

Elle marcha vers cette maison. Rien ne paraissait réel. Les blés bercés par la brise vespérale avaient la texture d'un dessin au pastel. Les arbres, la maison perdaient tous leurs détails vus de loin, comme l'arrière-plan d'un tableau impressionniste.

Elle sut que si elle approchait davantage, ses parents sortiraient de la maison. Ils seraient réunis tous les trois, comme Livenn l'avait désiré. Elle retrouverait leurs visages et leurs noms.

Pour cette raison, elle ne devait pas avancer plus loin.

Une silhouette se détacha de l'ombre d'un arbre. Othon se trouvait à une dizaine de mètres d'elle, au milieu du champ.

Sol FinisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant