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Ce n'était pas comme si j'avais passé la nuit au téléphone avec Gerard Way. Nous avions carrément passé toute la nuit à parler. Quand je m'étais rendu chez lui et qu'il m'avait envoyé un message me demandant si je passais une bonne journée, deux heures plus tard nous nous étions appelés et jusqu'à cinq heures du matin nous n'avions pas arrêté. Son rire était si doux, il semblait si pur. Il m'avait raconté son enfance vécue dans une maison de campagne et allait dans l'école du village, vivant une vie que tout enfant aurait voulu vivre. Il restait dehors tout le temps, s'amusait avec des animaux, jouait de la guitare et chantait dans les champs. Dès qu'il m'avait mentionné qu'il chantait, je lui avais avoué que moi aussi, à mes heures perdues. Il avait lâché un petit rire et m'avait dit qu'avec ma voix j'avais l'air de bien chanter. J'aurais aimé lui chanter mes chansons préférées et qu'il puisse m'accompagner avec sa voix mélodieuse.
Il m'avait raconté que le collège avait été la pire période de sa vie. Comme la plupart des gens. Sans amis, seul avec ses chansons et ses comics, il se faisait passer pour un loser, tandis qu'il admirait son frère plus jeune, mais plus admiré. Je lui avais alors raconté ce qui s'était passé avec Ray, son départ soudain. Gerard avait soufflé, puis avoué.

« Mikey n'aimait pas Ray. Il n'était qu'une expérience pour lui. Mais il l'a appris juste avant sa mort. Il a eu un énorme choc. Il aimait tellement mon frère, ça se voyait à des kilomètres à la ronde. Avant Ray était dépressif, on se croisait dans la cours et on parlait durant les pauses. Il prenait des anti dépresseurs. Il a... failli... tu sais, quand Mikey est mort. Mais il s'est dit qu'il devait vivre encore pour lui. S'il vivait, Mikey aussi, il est persuadé que mon frère l'aimait vraiment.
- Tu penses qu'il l'aimait ?
- Mikey aimait tout le monde, mais chaque personne à sa manière. Quand je t'ai menti par rapport à lui, c'était parce que j'avais eu une journée pas super, j'avais besoin de faire semblant qu'il était encore là.
- Je comprends. »

Je lui avais parlé aussi de ma vie, mon adolescence, mes peines de cœur.

« Je savais pas que t'aimais les hommes, murmura Gerard.
- J'aime juste la personne pour ce qu'elle est à l'intérieur.
- Moi aussi. »

Je le sentais bien à tout lui dire. Je lui racontais même des choses inutiles, comme la peinture de ma salle de bain qui avait besoin d'un coup de neuf, que mon grand-père sentait le vinaigre, que le chat de ma sœur s'appelait Loki... il faisait de même. Quand on parlait, on ne sentait aucune gêne, on parlait de tout et de rien, c'est extraordinaire quand on peut parler comme ça avec quelqu'un. N'importe quel sujet avec lui devenait intéressant.
Même si, par moments, il évoquait ce qu'il ressentait au fond de lui. Toute cette noirceur, ce manque de confiance, semblaient le tirer dans le vide. Il me disait qu'il se sentait spectateur de sa propre vie. Ça me faisait de la peine, mais je le laissais me raconter ses problèmes et je lui faisais part des miens. Pas de la même ampleur que les siens, mais j'en avais quand même, ce n'est pas parce que j'étais un psy que je n'avais pas d'angoisses non plus.

J'aimais bien quand il disait mon prénom, j'imaginais ses lèvres le former et ça me donnait des frissons.
Pour rien au monde je n'aurais voulu que cela s'arrête. Mais nous devions travailler le lendemain, ou plutôt le matin même. Juste avant de décrocher, j'avais demandé, avec espoir :

« Est-ce qu'on pourrait se voir, ce week-end ? »

Il n'avait pas tout de suite répondu, un moment j'avais cru qu'il avait raccroché, mais non, sa respiration m'indiquait bien qu'il était à l'autre bout du fil.

« Je ne pense pas être encore prêt.
- Pourquoi ?
- J'ai peur.
- De quoi ?
- De m'attacher encore plus en te voyant.
- Tu es attaché à moi ?
- Bien sur. Pas toi ?
- Si, si. Mais moi, je veux qu'on se rencontre. Ça te dirait samedi midi à la crêperie de la rue en face du petit port ?!
- Frank...
- S'il te plaît.
- Je verrai. Mais je ne promets rien.
- Merci. »

Et je jure l'avoir senti sourire à travers le téléphone.

Vous méritez de vivre [En énorme pause]Where stories live. Discover now