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Au moment où je rangeais mes affaires pour partir du cabinet de psychologues, Ray rentra dans mon bureau et me dit :

- Vous avez un nouveau client, demain, il s'appelle Arthur Way, il viendra à treize heures.

- Ok. Pas de soucis.

En fait, il y avait un gros soucis, je n'étais pas sensé être libre à cette heure là, je voulais aller à l'enterrement de Taylor. Mais je devais prendre ce Arthur, parce que c'était mon devoir en tant que psy.

Je repensais à Gerard, il ne m'avait rien envoyé ce jour là et n'avait même pas répondu à mes "bonjour, ça va ?" que j'avais envoyé trois fois. Je ne devais pas me prendre la tête avec ça, il devait être occupé, comme tout le monde ou alors il avait mis fin à ses jours. Je grimaçais à cause de cette pensée soudaine, non, je ne voulais absolument pas que cet homme ait fait cela. Ou alors j'avais juste été là pour écouter ses problèmes et il voulait m'oublier maintenant, je n'existais peut-être plus pour lui.

Je passais mes mains sur mon visage, soulagé que cette journée prenne enfin fin. Ce métier m'épuisait vraiment, mais je devais tenir jusqu'au bout. J'étais l'un des psychologues les plus réputés de la ville.

***

Il fixait cette rose rouge acheté pour Taylor que je déposerais sur sa tombe plus tard, elle reposait sur mon bureau. Ses yeux verts étaient pénétrants, il me donnait froid dans les dos, il avait à peine parlé, juste un bonjour quand il m'avait serré la main.

« Arthur Way... C'est bien ça ?

- Oui, répondit-il tout bas. Elle est pour qui cette rose ?

- Un défunt. »

Il déglutit et me fixa. Mon cœur accéléra, je n'arrivais pas à détacher mon regard du sien. Il repoussa une mèche de ses cheveux noirs lissés et arrêta de me fixer. Il se mit à faire un diagnostic de la pièce. Je le laissais faire, je laissais le patient parler en premier de ses problèmes.

« J'ai des insomnies, commença-t-il. Je pense, je pense, je pense. Puis quand j'arrête de penser, il est trois heures du matin ! Étrange, non ? Je ne sais pas exactement pourquoi je suis venu ici. Peut-être pour voir à quoi vous ressemblez...

- À quoi je ressemble ?

- Oui, mais vous allez comprendre plus tard. »

Ce type me faisait un peu peur quand même. Mais sa voix, elle me disait quelque chose, je n'arrivais pas à savoir qui précisément.

Il jouait avec la fermeture éclair de sa veste en cuir qu'il avait mise par dessus un tee-shirt de Nirvana. Je souris, ce groupe avait été toute mon adolescence. Je me souviens avoir pris ma guitare pendant un séjour à la plage et j'avais joué Come As You Are. Je m'étais retrouvé le lendemain, dans le lit d'une inconnue.

« Pourquoi vous souriez ? Me demanda Arthur.

- J'aime beaucoup Nirvana.

- Moi aussi. »

Il rougit, je le trouvais un peu moins flippant tout d'à coup, grâce à Kurt Cobain.

« Vous pensez à quoi le soir ? Lui demandais-je.

- À tout. Ma vie. Mon passé, mon futur. Je ne fais rien de ma vie, je la laisse couler et je regarde cette rivière noire qui passe entre les villes et elle finit par se jeter dans la mer.

- Qui sont les villes ?

- Le bonheur, la famille, les amis, le monde. Je passe à côté d'eux sans y faire attention, je ne fais que passer, je ne suis qu'un passager.

- Et la mer, qui est-elle ?

- Notre plus grande amie, celle dans laquelle tous les humains se réfugient dans ses bras un jour ou l'autre... La mort, Docteur, c'est la mort. Je m'y laisse tomber petit à petit. Rien à faire. Elle m'entraîne vers elle. J'essaie tout ! De rire, de rencontrer des gens, de vivre ! Mais elle me ramène à la réalité et je ne suis qu'un pion destiné à me bercer sur ses os. »

Je ne savais pas quoi dire sur le coup. Il m'avait cloué sur place. Il était fasciné par la mort, ça se sentait, on le voyait bien. La mort était ce qui l'empêchait de dormir. D'un côté il aimerait mourir, mais de l'autre il en avait peur. Tout ça était du à un quelconque traumatisme.

« Au revoir

- P-pardon ?!

- Je dois y aller, merci en tout cas, j'avais besoin que vous sachiez cela.

- Pourquoi moi ?

- Parce que vous me connaissez, Frank. »

Sur ce il déposa des billets sur mon bureau, me laissant la bouche pendante et réfléchissant à ce qu'il venait de se passer. Décidément, ces derniers jours étaient plus mouvementés que d'habitude.





Vous méritez de vivre [En énorme pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant