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Giacomo pousse la porte avant que je n'aie le temps de lui répondre. L'odeur âcre de la peinture me prend à la gorge et l'italien plisse son nez probablement peu habitué à ce genre d'agression sensorielle. Il secoue la tête puis pose sa main dans mon dos pour m'inciter à avancer. Je me détourne de son visage et avance timidement dans la petite pièce. A mesure que nous franchissons la distance nous séparant d'un petit comptoir de bois, je distingue quelques notes de musique classique qui me semblent familières. Le vieux parquet craque sous nos pas et nous contournons le seul meuble de la pièce.

— C'est en bas, annonce le brun en indiquant de petits escaliers en colimaçon.

Je pose ma main sur la rampe et hésite un instant à rebrousser chemin. Je plonge mon regard dans les yeux en amande de Giacomo mais ne décèle pas une once de malveillance dans ses iris chocolat. Pressée par l'homme, je finis par descendre les marches avec appréhension. Le volume sonore s'intensifie au rythme de ma progression mais je ne parviens toujours pas à identifier le titre joué. Je me fige lorsque ma position élevée me donne une vision d'ensemble sur l'atelier. Le lieu de travail est baigné de lumière naturelle offerte par de grandes fenêtres au plafond. Une dizaine de chevalets sont agencés dans l'énorme salle mais seuls cinq d'entre eux sont occupés. Les murs sont cachés sous de nombreuses toiles aux tailles disparates entassées aléatoirement contre ceux-ci.

Des cordes traversent de part en part l'atelier sur lesquelles ont été déposées de longs tissus blancs comme on le ferait avec du linge humide. Ces paravents improvisés séparent chaque artiste, créant de fines cloisons entre les peintres qui gagnent ainsi en intimité.

—Bon tu descends ou tu fais ta poule mouillée ? S'agace Giacomo.

— Je n'ai pas peur, je rétorque.

—Alors bouge j'ai le vertige.

Je dévale l'escalier qui me semble interminable et foule enfin le sol bétonné taché de couleurs plus ou moins vives. Je ne perds pas une miette du décor. Giacomo passe devant moi et je le suis timidement en prenant garde à ne pas marcher dans un des pots de peinture ouverts qui jonchent le sol. Nous passons parmi les peintres qui ne semblent pas prêter attention à notre arrivée jusqu'à ce que le visage de l'un d'entre eux s'illumine en m'apercevant.

—Oh salut Leah ! M'interpelle l'inconnu.

Giacomo se fige brusquement et je me cogne contre lui n'ayant pas anticipé son arrêt. Je fronce les sourcils et le grand brun fait de même.

—Qu'est-ce que tu viens faire ici ? Poursuit-il en essuyant ses mains sur un chiffon.

Je dévisage le jeune homme au fort accent grec dont le visage ne me dit rien. Ses lèvres pales s'étirent en un sourire encadré de faussettes pour m'encourager à m'exprimer.

—Comment tu coonnais mon prénom ? Je demande plus brutalement que je ne l'aurais voulu.

—Ça fait 3 ans qu'on est dans la même classe, soupire-t-il, et on a travaillé ensemble sur le projet d'un miroir en carton l'année dernière.

Piqué dans son orgueil, il attrape le pinceau qu'il avait laissé de côté au début de notre conversation et se reconcentre sur sa toile. Les souvenirs de ce projet de groupe obligatoire refont surface et je parviens enfin à mettre un nom sur ce visage : Lazaro. Il a rasé sa longue chevelure blonde au profit d'une coupe courte mettant en valeurs ses yeux bleus et ses joues creusées. Une nouvelle personne.

—Oh, pardon, je bafouille.

Mes joues s'empourprent de gêne tandis que Giacomo étouffe un rire moqueur.

—Tu prends des cours particuliers ici ?

—En quelque sorte, me répond vaguement l'étudiant me faisant ainsi comprendre qu'il n'a pas envie de continuer cette conversation.

Ôde au MensongeWhere stories live. Discover now