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— T'as entendu parler de cette affaire de faux tableaux ? chuchote Angelina à ma droite.

J'acquiesce. L'affaire est sur toutes les lèvres. Le monde artistique a les yeux rivés sur Rome et retient son souffle. En début de semaine, des brigands sont entrés par effraction dans les musées du Capitole. Au premier abord, aucune dégradation n'a été répertoriée mais lundi, jour de fermeture de l'établissement, des experts ont réalisé un peu par hasard que L'enlèvement des Sabines de Pierre de Cortone affiché dans la gallérie n'était pas l'exemplaire authentique. En effet, l'œuvre a été retiré de son emplacement pour réaliser une légère restauration prévue de longue date et les employés ont constatés que le châssis étirant la toile était comme neuf et non daté du XVIème siècle.

Une inspection approfondie est en cours et on estime actuellement qu'une dizaine de tableaux auraient été dérobés puis remplacés par des contrefaçons. Cependant, il est possible que les chiffres évoluent car le faussaire ayant réalisé les copies est si talentueux que l'on peine à distinguer les vrais des faux à l'œil nu. Toutes les pièces sont examinées une à une, et certaines sont envoyées en laboratoire où seront réalisé des analyses scientifiques afin de s'assurer de l'ancienneté de la peinture. Cette opération délicate prend un certain temps puisque chaque œuvre nécessite d'être manipulé avec précaution et implique des technologies complexes dont les noms suffisent à me donner la migraine.

La valeur totale de ces toiles de maîtres dérobées se compte en millions d'euros. A l'heure qu'il est, les œuvres ont probablement déjà été écoulées à prix d'or sur le marché noir et les voleurs profitent surement de leur belle fortune sur une plage de Cancún. La rumeur attribue cet acte criminel à l'influente famille Vittore mais ce ne sont que des bruits de couloirs et les enquêteurs n'ont établi aucun lien pour le moment. En outre, les Vittore n'auraient pas grand intérêt à commanditer ce cambriolage.

L'affaire est si grave qu'aux quatre coins du globe on craint une seconde attaque. Les musées ont renforcé leur service de sécurité et il paraît que le Louvre est allé jusqu'à doubler son nombre de vigiles de nuit.

— Un coup de maître, je réponds avec une pointe d'admiration pour le faussaire.

Ce dernier a réussi l'exploit de duper de nombreux visiteurs pendant cinq jours entiers. J'aimerais sincèrement le rencontrer, pas pour lui faire la morale mais pour apprendre de ce génie artistique. Il doit avoir tant de savoir-faire à transmettre, dommage qu'il utilise son talent à des fins criminelles.

— On dit que le faussaire est un vrai pro, ajoute Valentina qui se joint à la conversation, il aurait été l'élèv-

— Valentina Romagnoli, Angelina Laterza et Leah Valentini, un peu de silence mesdemoiselles, nous coupe durement le professeur d'art pictural interrompant notre brève discussion.

Je me tais et me reconcentre sur l'activité du jour : représenter la corbeille de fruits disposée devant nous. Je n'aime pas ce genre d'exercice. Recréer une nature morte, je trouve ça dénué de passion et d'enjeux. Je trempe de nouveau mon pinceau dans la peinture et colore d'un rouge vif la pomme au centre de ma toile. Rapidement, mes pensées divaguent vers ces faux tableaux qui ont eu le temps d'être photographiés des milliers de fois en une petite semaine par des touristes insouciants.

Qui a dit que le faux était synonyme de laideur ? Moi je crois que le faux est bien plus intéressant que le vrai. Certes, lorsque le faux est capté, il perd toute valeur. Mais avant que les masques ne tombent, ces impostures s'octroient un prestige injustifié déjà synonyme d'exploit. Le faux a ce grain de folie que le vrai ne possédera jamais. Cette adrénaline propre au Mensonge, conséquence de l'euphorie de se jouer du monde. C'est passionnant, le faux.

Lorsque la sonnerie annonce la fin des cours en milieu d'après-midi, je file de nouveau vers la gallérie Borghèse pour réaliser de nouveau le croquis de Jupiter et Junon. Le musée est un peu plus calme en semaine et les risques que mon dessin soit piétiné sont moindres. Après une heure de concentration intense, je me résigne à ranger mon matériel, pressée par la fermeture du musée.

Avant de partir je décide de me confronter une dernière fois à La Vérité dévoilée par le temps pour lui faire mes adieux. Je n'ai pas prévu revenir ici. Je remonte à contre courant la marée de visiteurs qui se dirigent vers la sortie et m'installe sagement face à la sculpture du Bernin. Je profite de ce moment privilégié avec l'œuvre. Je tiens à faire durer ce face à face, je resterai jusqu'à ce qu'on me vire. Des pas résonnent dans la salle vide et brisent le silence apaisant qui s'était installé. Surement un employé qui vient me pousser vers la sortie. J'attrape mon sac en toile, me préparant à quitter les lieux.

— Tu sculptes ?

J'arrête mon mouvement en reconnaissant cette voix rauque et finit par relâcher ma prise. Giacomo s'installe à mes côtés et ancre son regard sur la citation accompagnant la statue massive.

— Non ça serait un affront, j'annonce catégoriquement, je n'en ai pas la patience et ça serait le point de non-retour, comme une ligne à ne pas franchir.

Il se détourne de la femme faite de marbre et m'interroge du regard, attendant que je développe ma réponse plus qu'évasive. Ce n'est pas l'art complexe qu'est la sculpture qui me dérange, simplement l'aura du marbre prestigieux.

— Le marbre ne ment pas, c'est la pureté d'un moment prise sur le vif et gravé dans la pierre de l'éternité.

— Le marbre ne ment pas, c'est la pureté d'un moment prise sur le vif et gravé dans la pierre de l'éternité

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Ôde au MensongeWhere stories live. Discover now