Chapitre 4

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Six ans plus tôt...

Je ne vois pas en trois dimensions. Normalement, on distingue la 3D parce qu'on a deux points de vue différents, les deux yeux, qui convergent vers un seul point. Mais quand il manque un œil, il manque le deuxième point de vue. Ainsi, ça explique que je n'aie jamais pu pratiquer un sport de balle. Même les sports d'équipes, ça m'est compliqué. Tout ça parce que donc, je ne vois pas les trois dimensions, donc lorsqu'un ballon est en l'air, je ne sais pas dans quelle direction il va. En outre, mon champ de vision est très faible, surtout à gauche alors dans un jeu d'équipe et de balle, il y a trop de mouvements, trop de choses que je ne peux pas voir et toujours quelqu'un qui ne va pas faire attention au fait que je n'y vois pas. En somme, j'ai toujours été le point faible d'une équipe.

Et ce ne sont pas les lentilles qui m'ont aidée... Quoi qu'une fois, elle m'ont bien servi. On partait en vacances en Corse et ma mère m'avait suggéré de mettre les lentilles pour le voyage en voiture jusqu'à Toulon. Mais à un moment, j'ai eu une poussière ou quelque chose dans l'œil et j'ai eu besoin d'enlever les lentilles. Je l'ai donc fait et là, mon père me dit :

— Où sont tes lunettes ?

J'ai haussé les épaules, on les a cherchées. Et je me suis souvenue que je ne les avais pas mises dans l'étui quand j'avais mis mes lentilles. Nous étions donc partis pour une semaine sans lunettes. J'avais seulement mes lentilles et mes lunettes de soleil qui avaient presque la même correction que les normales et avec lesquelles je voyais un peu moins bien. Je me souviens qu'au début, c'était très gênant. Surtout que nous étions en camping. Le soir à la veillée, je n'y voyais rien du tout. Et mon frère en a profité pour me piquer des tomates. En fait, il m'a fait croire qu'il y avait un oiseau derrière moi... Et il m'a pris mes tomates. Et moi je ne l'ai même pas remarqué. J'étais naïve ! Mais ça me fait rire quand j'y pense. C'était une semaine de kayak en Corse alors en dehors de ça, les lunettes de soleil m'étaient plutôt utiles. Par contre, la vue de près dessus était complètement faussée alors pour lire... Moi qui adore ça... Je ne pouvais lire qu'avec des lentilles et encore, il me fallait les lunettes de près et je forçais beaucoup. Ça explique pourquoi j'étais fatiguée.

Je ne me souviens pas de chaque rendez-vous à Toulouse. Impossible, ils se ressemblent tous, aussi long les uns que les autres et souvent annonciateurs de mauvaises nouvelles. Souvent, ils se constituent en quatre tests. Le premier est simple : lecture de près, de loin, vérification du nystagmus (comme s'il allait s'arrêter du jour au lendemain) et du strabisme (...) et gymnastique des yeux avec un stylo ou une ampoule. Comme se sont souvent des stagiaires qui gèrent ça, elles sont toujours étonnées (ce sont rarement des garçons) et appellent immanquablement leur supérieure qui me salue comme si elle avait rendez-vous avec moi. Elle vérifie, voire refait, tout le travail des stagiaires avant de me laisser partir. À cette époque là, j'avais encore deux, trois ou quatre tests à faire selon la période. Le champ visuel qui n'arrivait, heureusement pour moi, qu'une fois sur trois ou quatre. Il consiste à vous caler la tête dans une coupole blanche avec un point noir au milieu. Vous avez une sonnette à la main et ils affichent quatre petits points oranges en dessous du noir et vous devez voir si des points blancs apparaissent au milieu. Dès que vous en voyez un, il suffit de sonner. C'est leur luminosité qui varie. Deuxième partie du test : fixer simplement le point noir qui vient de s'allumer en orange. « simplement » me fait bien rire. Mais je n'ai pas encore parlé de nystagmus.

C'est une non-stabilité de l'œil. Dès que je me déconcentre, il se déclenche. En fait, c'est mon œil (droit) qui balaie l'espace devant lui. Outre la fatigue, il démarre quand j'en ai marre de me concentrer ou quand je suis dans le noir avec une seule source de lumière comme un réveil ou encore, quand je dois fixer un point précis pendant trop longtemps ou quand je regarde une surface unie trop longtemps aussi.

Durant ce test, ils demandent de cligner des yeux le moins possible pour ne pas rater de points. Cela entraîne de la fatigue. Fixer un point lumineux quand la pièce est dans le noir n'est pas agréable non plus... Donc fixer un point lumineux sur une surface entièrement blanche que je regarde déjà depuis quelques temps dans une pièce sombre... il s'en donne à cœur joie. Donc, non, ce n'est pas simple.

Mais normalement, il existe un mode manuel qui permet de gérer les cas comme le mien. J'ai déjà parlé des stagiaires ? Bon et bien vous avez peut-être déjà compris que ce sont eux qui sont sensés me le faire mais que c'est immanquablement le supérieur qui doit s'en charger. Et même lui ne connaît pas exactement mon cas. Alors même si on prend tous mes tests de champ visuel de cette période, je ne pense pas qu'il s'en trouve un seul de juste.

Et pour l'œil gauche, je n'y voyais rien alors je ne parlerais pas de fiabilité mais plutôt d'inutilité. Mais bon, ma mauvaise foi parle un peu pour moi, ils ont bien dû en tirer quelque chose.

Nuit PerpétuelleWhere stories live. Discover now