Chapitre 1

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Quatorze ans plus tôt...

Je suis née avec, il a toujours été là. Et ce n'est qu'un petit mois après ma naissance que l'on s'en est aperçu. Enfin "on"... Ni le généraliste, ni la sage-femme, ni personne d'autre ne l'avait vu. Il a fallu que ma mère me donne le biberon pour qu'elle remarque la tâche que j'avais dans l'œil droit. La cornée collée à l'iris. Mais ça, le généraliste n'a pas voulu le voir, encore une fois. Alors il a fallu se rendre à Toulouse, passer une batterie de tests. Pour qu'enfin on nous dise qu'une opération était nécessaire. Pour mes parents, tout ne faisait que commencer. Moi dans tout ça ? Je ne peux pas prétendre que je me souviens de cette période. On me l'a racontée et je vais essayer de la retranscrire.

Ma première opération donc. Je ne m'en souviens pas mais apparemment, la chirurgienne a été très surprise en découvrant mon œil. Je préviens que je vais vous parler en termes techniques. Je n'avais pas de cristallin dans l'œil droit et l'iris collé à la cornée. Pour l'autre, tout y était, mais le cristallin un peu mal formé, trop petit et la poche aussi. On me l'a retiré. En outre, ils avaient été obligés de me mettre sous anesthésie générale parce que mon nystagmus les empêchait d'opérer. Ensuite, tout aurait pu être fini. Mais ce n'était que le début.

Tous les six mois, un rendez-vous. Des heures d'attente pour des tests de quinze minutes. Et puis des heures de route aussi. Mais ce n'était qu'une partie. J'ai commencé l'école à deux ans et demi. Je n'ai que très peu, voire pas de souvenirs de cette période. Je sais que j'avais une AVS : une aide à la vie scolaire. Elle s'appelait Christine et elle venait d'abord tous les jours puis, deux fois par semaine à partir de la moyenne section il me semble. Mais je la voyais aussi le mercredi malgré l'école qui fermait ses portes ce jour-là.

C'était à Lestrade, à Toulouse aussi. Je m'y rendais en taxi et le retour s'effectuait de la même manière. Tous les mercredis matins jusqu'en début d'après-midi. De là-bas, il ne me reste que des bons souvenirs. Je me souviens d'une Inès et d'un Mathias qui étaient avec moi. Un certain Léo aussi, qui supportait mal la lumière du soleil. On nous apprenait à colorier, à jouer de la musique – enfin c'était plutôt un éveil musical –, à peindre et j'ai même gardé une de mes œuvres, à se tenir dans une position correcte pour éviter d'avoir ensuite des problèmes parce qu'on essayait de mieux voir par tous les moyens. Nous nous sommes aussi baladés dans Toulouse, pour que nous puissions nous repérer. J'ai plein de souvenirs de ces moments-là. Un panneau chien méchant avec un petit chihuahua dans le jardin, les bulles pour les aveugles avant les passages piétons. On jouait à lire les panneaux pour se diriger. Parfois, nous étions seuls où du moins en apparence. Et nous avions chacun quatre à six ans. Dans l'immsense parc du site, je me souviens d'innombrables balades, d'une chasse au trésor sous le ciel pluvieux de l'automne, de quelques jeux de pistes...

À l'école je suis passée en grande section. J'ai changé d'AVS, elle s'appelait désormais Valérie. Je ne compte plus le nombre de feutres noirs qu'elle m'a donnés. Et puis, je suis passée en CP dans la même année. C'est à ce moment que j'ai commencé à être moins transparente. C'est peut-être pour ça que certains plus âgés sont venus me poser des questions. Mais ils n'étaient qu'en CM2, ce n'était pas grand chose. À peine quelques insistances :

« Pourquoi tu as des gros yeux ? »

« Je peux essayer tes lunettes ? »

« T'as ça depuis combien de temps ? »

« Ah ! Tu fais peur ! »

« Enlève tes lunettes ! »

« C'est quoi la vraie couleur de tes yeux ? »

« Pourquoi tu veux pas jouer au ballon avec nous ? »

« J'ai combien de doigts ? »

« Pourquoi tu louches ? »

« Pourquoi ton œil bouge dans tous les sens ? »

« Pourquoi t'as des lunettes énormes ? »

« T'en a pas marre d'être assise au premier rang tout le temps ? »

...

Nuit PerpétuelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant