16. CELUI QUI CROISAIT UN EX

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Je fus incapable de me concentrer pendant notre heure de mathématiques, le lendemain matin. C'était simple : je ne repensais qu'à Eden et moi, la veille, allongés sur son lit à s'embrasser. Pour ce qui était du principal intéressé, il était à fond sur l'exercice que notre professeur avait distribué il y a quinze minutes. Est-ce j'étais le seul de nous deux à le regarder différemment ? Est-ce que lui aussi ressentait cet étrange sentiment, entre la gêne et la frustration, en me regardant ? Ou bien c'était juste moi, parce que tout ça était la première fois que ça m'arrivait ?

– T'es bloqué ?
– Hein ?

Eden m'interrogeait du regard, et il tapota du bout du doigt ma feuille, encore vierge de tout charabia propre aux matheux. Oh mince, il pensait que je ne savais pas répondre et que, bêtement, j'attendais que les minutes passent. Alors, au fond, il n'avait pas tout à fait tort; je ne comprenais rien de rien au nouveau chapitre que nous venions d'aborder, mais...

– Nan nan, ça va...

Je m'empressai d'attraper un stylo, et de faire mine de me pencher sur mon exercice. Il ne me lâcha pas des yeux, comme s'il attendait que je capitule, lui avouant que oui, j'étais bel et bien bloqué et que oui, j'avais la tête ailleurs.

– J'arrive juste pas à me concentrer, soufflais-je.
– Louis Verbeeck !

La voix de notre professeur me parvint et je baissai les yeux sur ma feuille.

– Puisque vous prenez le temps de parler avec votre voisin, je présume que c'est terminé ? Vous venez au tableau ?

C'était une question sans en être une puisque déjà, elle me tendait le stylo. Et merde. J'attrapai ma feuille - totalement vierge - pour faire comme si de rien était et au dernier moment, je sentis la main de Eden, frôler la mienne. Je traînais alors mon corps sans aucune conviction jusqu'au tableau. Inès me fit un signe d'encouragement, et au passage je vis sa propre feuille recouverte de dessins en tous genres. La vie était injuste. Blaise, au premier rang, ricana, parce que lui, avait bien évidemment tout fini. Et qu'il était le chouchou de cette professeur depuis notre arrivée au lycée. J'attrapai le stylo qu'elle me tendait, et je baissai les yeux sur ma feuille, faisant mine d'être soudain très inspiré.

Et puis, je buguai.

Deux secondes.

Parce que la feuille que j'avais dans la main n'était pas la mienne. Je pivotai pour voir Eden m'adresser un sourire immense et me lancer un clin d'œil. Ce type était un ninja. J'avais sa propre feuille d'exercice sous les yeux. Et je n'avais rien vu. Je me  mis donc à recopier des lignes de calculs soigneusement écrites auxquelles je ne pipais rien. À la fin, je me tournai vers la professeure qui me regardait avec des yeux ronds. Blaise semblait à deux doigts d'exploser, avec ses joues toutes rouges. Visiblement, il n'avait pas trouvé de failles pour se moquer cette fois-ci.

– Eh bien... C'est parfait. Vous pouvez aller vous rasseoir.

Et toc. Prend toi ça dans la gueule grosse dinde, j'ai pensé très fort. Oui, je n'aimais pas vraiment cette enseignante. De toute la tripotée de prof que nous avions cette année, elle faisait partie de ceux que je portais le moins dans mon cœur. Je retournais m'asseoir avec la folle envie de sauter et d'embrasser mon voisin, là, tout de suite. Je murmurai un « merci » que lui seul pouvait entendre.

– Comment t'as fais ça ?
– Rapide, hein ?

Ça pour être rapide... Je n'avais rien vu . Ni moi, ni mes autres voisins de table, ni ma professeure.

            La suite du cours passa beaucoup plus rapidement. Ce midi, je me retrouvais avec Eden pour déjeuner, mais aussi Inès, qui avait à cœur de former... une sorte de trio avec nous deux. Je regardais le menu pas terrible que j'avais dans mon assiette ainsi que celui d'Inès. Inès ne mangeait pas de viande rouge et avait écopé à la place d'un poisson tout mou avec une drôle de panure un peu trop jaune pour être naturelle.

ÉCLIPSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant