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Elle aimerait pouvoir exprimer ou plutôt expliquer, oui, c'est ça, expliquer ce qu'elle ressent. Un vertige. De la peur. Est-ce si évident ? Le trac, peut-être. S'expliquer surtout ce qui l'a animé. Un malaise nauséabond comme une mauvaise prémonition. L'intuition de s'être engouffrée dans un cul-de-sac terreux, sombre et humide. L'engagement, Margaret l'a pris et elle se sent liée maintenant.

Elle attendait la réponse depuis si longtemps. Des prières, des incantations, des cierges, elle avait tant voulu et maintenant elle avait la réponse, et la réponse était oui.

Partie acheter des cigarettes, machinalement elle avait engouffré une main dans cette boite aux lettres qui ne fermait plus depuis si longtemps. Le courrier était si rare. C'est alors qu'elle avait palpé l'enveloppe de papier épais, comme un reste d'autrefois, comme ce qu'on l'imagine d'avant. Une belle enveloppe, robuste, avec une belle écriture manuscrite, à la plume, encre gris acier, acérée comme sa propriétaire. Margaret a su tout de suite. Elle a pu s'empêcher d'ouvrir séance tenante ce pli, elle avait besoin d'une cigarette. Et d'un café avec. L'association des trois poisons n'en serait que meilleure.

Elle grimpa les escaliers trois par trois malgré ses stilettos. Jeta son trench dès la porte passée, ignorant Lechat, son chat.

Installée sur son canapé, tasse fumante, cigarette fumante, elle retardait encore le moment de décacheter l'enveloppe.

Juste le temps d'envoyer à Mike un sms laconique : J'ai sa réponse.

Puis elle éclata de rire, nerveuse. Pour elle, c'était juste dingue ! Elle n'y croyait plus. Ou y croyait trop.

Elle ouvrit enfin, doucement, précautionneusement, comme une césarienne.

Papier vergé, ivoire ou crème, il devait y avoir un nom à cette couleur. En tous les cas, un prix à ce papier.

Entête bourgeoise, efficace, élégante.

L'écriture, supérieure, était précise, légèrement penchée, les lettres plutôt bien formées. A faire analyser par un graphologue, pourquoi pas, pensa-t-elle.

Elle ne pu s'empêcher de sentir le papier. Elle s'attendait presque à un parfum, le sien, mélange de cuir, de cigare et de musc.

Margaret Pry tenait entre ses mains une missive courte aux tournures surannées, un style ampoulé. Mike avait raison sur toute la ligne.

Le contenu était surprenant et froid mais elle s'en fichait éperdument, infiniment car elle avait répondu, et c'est tout ce qui importait.

La lettre relue cinq fois comme pour la mémoriser ou trouver un sens caché. Prendre le temps de réaliser ou peut-être celui de calmer son palpitant, elle se décida à appeler Mike.

Il décrocha à la première sonnerie avec un sombre « annonce... ».

Ils se connaissaient tant qu'elle était bien habituée aux manques de temps de son éditeur et aux versions courtes, essentielles, requises pour mener à bien une conversation avec lui. Répondre clairement aux questions, ne pas répéter ce qu'on vient de dire, écouter et enregistrer. Un homme pressé en somme. Un homme aussi.

Margaret se lança : « Bon, elle me reçoit une fois pour jauger en fait. Du coup j'ai pas droit à l'erreur. Ç'est clair. Et anxiogène à mort... Reste à savoir comment je vais la séduire.

Après elle dit qu'elle verra si elle donne suite. Elle semble amusée par tout ça, c'est limite vexant. Mais oui, t'inquiète, je mets mon amour propre de côté, en dépôt chez toi, ça te tente ?

Margaret poursuivit en citant directement : « elle dit qu'elle n'est « ni motivée par la satisfaction des curiosités ni par l'opportunité de donner sa version des faits. » Elle dit en gros, qu'après la sortie du livre, on lui foutra la paix. »

Lis ça : « Personne après vous n'aura, je présume, la sotte ambition d'écrire ce qui aura alors déjà paru. Votre ouvrage aura vocation, à mon sens, à les décourager. Ainsi, nulle méprise possible, c'est bien pour moi que je le fais. Ne vous trompez pas, ne croyez en aucune façon représenter pour moi une issue salutaire. Vous ne seriez qu'un médium. Cette optique vous rendra modeste et moi, prolixe.

J'impose clairement la condition unique : vous me laisserez parler sans mettre en doute ce que je dis ou tenter de corroborer, en me les soumettant, d'autres versions. Une fois, une seule, et nos entretiens cesseront. Par contre, si je m'engage à me délier, alors je vous offre la garantie de raconter jusqu'à la fin, mon histoire. »

Félicitations pour cette première manche reçues, la conversation avec Mike fut brève et Margaret se retrouva seule. Avec Lechat. Donc seule.

Plus elle lisait la lettre, plus les mots lui semblaient pompeux. Elle se sentait manipulée de manière ouverte, c'en était offensant. Elle se sentait conne en clair : « je ferme ma gueule... sinon guillotine. »

Elle savait qu'ELLE l'utiliserait mais est-ce qu'elle n'en faisait pas de même ? Elle serait son antiparasite et ELLE son tremplin ?

Pourtant, Margaret pressentait qu'il devait forcément y avoir autre chose : est-ce qu'ELLE se sent seule ? S'ennuyait ? allait crever ? Merde, imagine elle clamse dès qu'on a fini... cette possibilité l'a fit sourire, doucement. On ne se connait jamais vraiment.

Le rendez-vous aurait lieu cinq jours plus tard à 14h00.

Il fallait qu'elle confirme.

Mais surtout qu'elle se prépare. Seule.


L'EXCUSE DE L'AMEWhere stories live. Discover now