Disparue

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Je revins le lendemain, dans l'espoir de te revoir, de t'apercevoir, de te présenter mes excuses. J'avais besoin de te voir, de te sentir, d'éprouver cet amour lâche qui avait flanché au mauvais moment.

Mais tu n'étais pas là.

Tu ne revins plus à notre lieu.

Et mon monde s'effondra.

Toi qui l'avais paré de mille lumières chatoyantes, toi qui l'avait façonné, tu n'étais plus là. Il n'avait plus aucune raison d'être.

Et moi non plus.

Juliette me fut d'un grand soutien. Elle m'aida à sécher mes larmes, à marcher malgré mes jambes tremblantes, à parler malgré ma voix brisée. Elle fut mon support dans cette longue descente aux enfers de ton absence. Et chaque jour, je me maudis un peu plus de ma lâcheté.

Tu m'avais donné ta confiance, et je l'avais trahie. Je n'étais pas digne de toi. Juliette était d'un tout autre avis, cependant.

-Tu as fait une erreur, Eva, c'est vrai. Mais pourquoi as tu hésité? Pose toi cette question. Cela te pose-t-il un problème de découvrir cette facette de celle que tu aime?

-Non! Je l'aime, je me fiche de savoir à quoi elle ressemblait avant... l'amour se porte sur une personne, et non sur son passé. Véga est une femme, et la plus belle femme que je n'ai jamais vue.

-Alors, pourquoi hésiter?

Je ne savais que répondre.

-Je l'ignore, Juliette... j'étais figée, je n'ai rien pu dire. Et quand j'ai réalisé que je l'avais blessée, c'était encore pire. C'était comme si l'air avait quitté mes poumons pour empêcher mes paroles de l'atteindre.

-Donc, tu l'aime, quelle que soit sa différence.

-Bien sûr. De tout mon coeur. Vivre loin d'elle est une torture...

-Alors il va te falloir t'armer de patience, jusqu'à ce qu'elle revienne. Ce sera la meilleure preuve que tu pourras lui apporter de ton attachement. Du fait que tu regrette, mais que tu n'entreras pas à nouveau dans sa vie si elle ne le désire pas. Attends la simplement, chaque soir, comme tu le fais déjà.

-Tu as raison... merci, Juliette.

-Mais de rien, mon Eva.

J'appliquais donc les sages conseils de mon amie, non sans une amertume profonde. Marcher jusqu'à la berge chaque soir me rappelait douloureusement ta présence et ton odeur, et rendait encore pire le sentiment de vide qui m'envahissait depuis ta disparition. Mais conformément au plan de Juliette, je décidai de ne pas te chercher. De simplement attendre que tu choisisse de me laisser réparer mon erreur.

Et cette attente allait peut être se révéler vaine. J'en étais terrifiée.

En parallèle, je continuais à découvrir ton monde. C'était la seule chose qui me rattachait encore à toi. Les deux sujets qui te définissaient à mes yeux: le ciel et la transidentité.

Ce dernier sujet était réellement tout nouveau pour moi. Je dois avouer que je n'avais jamais vraiment considéré l'existence de ces personnes, et que, comme beaucoup, je les considérais surtout comme des sortes de... phénomène de foire, incapable de se fondre dans la société. Des Drag Queen au maquillage provocateur et au déhanché séduisant. Mais, je réalisais vite au fil de mes recherches que tout ça n'avait rien à voir avec la transidentité.

Je voyais de personnes si différentes les unes des autres, ayant tant d'histoires et de raisons différentes. Chacune avec sa propre définition de la transidentité, en rapport avec leurs histoires. Et de nouvelles questions surgirent dans mon esprit. Quelle pouvait être ton histoire? Qu'est ce qui t'avais donc poussée à entreprendre un tel changement dans ta vie? Comment l'avais tu vécu?

Qui étais tu, au juste, Véga?

Mais ces questions ne pouvaient être répondues. Car tu n'étais pas là pour y répondre.

Ton absence avait laissé un creux dans mon poitrail.

Je noyais ma peine dans le travail. Il y en avait beaucoup, Audrey en demandait toujours plus. Un jour, en particulier, elle me demanda dans son bureau. Cela faisait deux mois que je ne t'avais vue et que chaque soir, je me rendais sur la berge avec un espoir fragile qui s'amenuisait au fil des jours. Le printemps laissait peu à peu place à l'été, et l'air frais de la berge était agréable lors des soirées que j'y passais. Il ne manquait plus que toi.

Et contre toute attente, c'était Audrey, mon insupportable patronne, qui allait être l'artisane de nos retrouvailles.

-Eva, te voilà enfin! Me dit elle quand j'entrai.

-Je finissais le travail que tu m'avais demandé, Audrey.

-Oui, oui, eh bien tu peux faire une pause lorsque je t'appelle dans mon bureau.

Je levais les yeux au ciel. Grands Dieux que cette femme était insupportable.

-Que me veux tu, Audrey?

-Eva, tu te souviens de cet article que tu a ecris sur l'astronomie?

-Non. Tranchais-je.

-Ne me dis pas que tu l'as oublié, je ne te croirais pas.

-Je ne l'ai pas oublié, mais je répondais à ta question avant que tu ne la pose. Non, je ne réécrirais pas d'article de ce type. Je te l'ai déjà dit mille fois.

-Tu ne sais même pas si c'est cela que j'allais te demander!

-Était ce cela?

Elle hésita. Bien évidemment, que c'était cela. Audrey m'avait harcelée pour que j'écrive un autre article, comme celui que je t'avais écrit. Mais je refusais. J'avais écrit pour toi, pour tes yeux, et pour mes à plats mes sentiments pour toi. Mais tu me fuyais, désormais, et je ne voulais pas avoir l'audace de réécrire sur ces sujets qui t'étaient si chers sans pouvoir observer tes réactions. Ça me semblait un sacrilège.

-Très bien, alors pas d'article aussi passionné. Soupira Audrey. Mais tu vas devoir m'en faire un autre en échange.

-De quel genre?

-Le centre de recherche, ça te dit quelque chose? Il va s'y tenir une conférence internationale sur le thème de l'astrophysique et de l'astronomie. Je VEUX un papier sur cet évènement d'envergure, et tu es la plus qualifiée dans ce domaine.

Je déglutit. Je ne me sentais pas assez forte encore pour faire face à des professionnels du ciel. Leur vue allait me rappeler la tienne, j'en étais sûre.

-Je... ne suis pas la meilleure pour les interviews, Audrey.

-Mais qui a parlé d'interviews? Tu m'en fera juste une ou deux, mais je veux surtout que tu me fasse un compte rendu de ce qui sera dit, et qu'on mettra dans le dossier sur l'évènement dans le numéro de vendredi prochain. Pour les interviews, je vais demander à Margaux de s'en occuper.

Je tressaillit en entendit ce prénom haï.

-QUOI?

-Arrête un peu, Eva! Vos différents personnels, vous les mettez de côté pour le bien du journal. On est tous dans le même navire, et vous devez faire avec! Tu sais que...

S'enchaîna un long discours sur l'importance de se serrer les coudes, et sur le fonctionnement des choses à l'époque de la jeunesse d'Audrey. Mais je n'écoutais pas. Tout ce que je savais, c'est que j'allais devoir faire face à ton souvenir en ayant dans le dos une femme qui ne désirait que de me voir tomber.

Cette semaine n'allait pas être de tout repos.

La tête dans les étoilesWhere stories live. Discover now