La tête dans les étoiles

Rencontre avec une étoile

Finir d'écrire mon article fut une partie de plaisir autant qu'une torture. Les mots me venaient si facilement et si promptement que je ne pouvais m'arrêter d'écrire. J'étais obligée de rayer des passages entier, car mon article ne pouvait être trop long, mais cela me déchirait le coeur de ne pouvoir évoquer la beauté de la constellation de Cassiopé ou de la galaxie d'Andromède. Mais ce n'était pas là ma plus rude épreuve.

Ma plus rude épreuve, consistait à ne pas laisser transparaitre mon admiration divine pour ta personne dans mes mots. En me relisant, je la sentais perler à chaque ligne, dans chaque mot et dans chaque lettre. Mon article ne cessait d'être réécrit intégralement par mes soins, et à chaque nouveau jet, il ressemblait un peu plus à une déclaration d'amour folle. Pourtant, pas une fois je n'évoquais ton existence. Et pourtant, elle transparaissait partout.

-On dirait que tu veux absolument cacher un détail. Fit remarquer Juliette en relisant mon article. Tu essaie tellement de le faire disparaitre qu'il n'en devient que plus visible. Dis moi, mon Eva adorée, est-ce réellement uniquement de l'astronomie dont tu es tombée amoureuse?

Elle savait que mon coeur avait chaviré, je m'en doutais. Elle avait choisi cet instant précis pour tenter de percer ce mystère. Et je savais qu'elle n'allait pas en démordre pas tant que la vérité n'était pas sortie de la bouche. Pourtant, je résistai quelques temps, refusant de partager le secret de ton existence. De peur aussi de devoir avoir à supporter ton rejet, dans l'hypothèse très peu probable où j'arrivais à te déclarer ma flamme.

Mais Juliette était insistante, et moi, bien peu résistante face à elle. Mes défenses étaient celles d'un chateau de sable face à l'assaut des vagues de l'océan. Notre complicité m'interdisait de lui cacher la vérité plus longtemps; je me confiais donc à elle, lors d'une pause café.

-Oui, je... je suis amoureuse, je l'avoue.

-Comment est-elle?

-Elle est... Juliette, comment diable as tu deviné qu'il s'agissait d'une femme?

-J'ai l'oeil pour ce genre de choses, mon Eva. Cela transpire à travers la douceur évoquée par ton texte. Mais si cela peut te rassurer, j'avais encore un doute, et tu viens de me l'ôter.

-Tu es incroyable, tu le sais?

-Parfaitement, que je le sais... si tu m'avais avoué ce genre de préférences plus tôt, nous aurions pu nous amuser encore plus durant nos études!

-Je... j'ai découvert cette attirance avec elle. Elle est... magnifique, Juliette. Je pense à elle tout le temps, je n'arrive pas à me l'ôter de l'esprit, elle me hante jours et nuits.

-Et David?

-Mes sentiments pour lui étaient fragilisés; j'ai rencontré cette femme le soir de sa tromperie. Mon amour pour lui a fondu comme neige au soleil, et l'eau claire issue de cette fonte a rempli le lac de ce nouvel amour.

-Et te voilà poète! Tu es changée, ma pauvre Eva. Mais cela te va pour le mieux. Quitte donc cet imbécile de David qui ne te mérite pas, et va te réfugier dans les bras de ta dulcinée.

-Tout doux, Juliette. Tout cela est bien trop rapide. Elle ne sait en rien ce que je ressens pour elle. Je ne la connais que très peu, et pourtant j'ai l'impression de l'avoir toujours connue. Nous avons une forme de complicité, et pourtant je ne sais rien d'elle, sinon son nom et sa passion pour les étoiles.

-Voilà une bien étrange affaire, mon Eva. Une affaire que je ne peux te laisser continuer à mal gérer. Si tu continue à fuir, tu la perdras à coup sûr! Où est passée ta confiance aveugle? Pourquoi ne peux tu pas lui avouer ce que tu ressens?

-Je l'ignore, Juliette. J'en suis incapable. En sa présence, je suis comme paralysée, incapable de penser normalement. J'ai l'impression qu'elle peut lire en moi comme dans un livre ouvert, que je suis nue sous ses yeux si doux. Comment pourrais je lui dire quoi que ce soit dans ces conditions?

-Alors, fais le autrement.

-Que veux tu dire?

-Écris cet article. Mais arrête d'essayer d'effacer tes sentiments! Laisse les s'exprimer à travers tes mots. Que l'on comprenne cet amour qui ne se porte pas seulement sur le ciel, mais aussi sur celle qui le regarde. Tu ne dois pas forcément exprimer ta pensée à voix haute pour être comprise, Eva.

-Tu sais comment j'ai toujours fonctionné...

Elle soupira.

-Oui, mon Eva. Je fonctionnais de la même façon. C'étaient les hommes qui venaient nous voir, et on faisait les distantes. Et quand c'était un homme qui nous plaisait, on fonçait dans le tas pour réfléchir aux conséquences après. Mais tu n'es pas capable de faire cela cette fois, n'est ce pas?

-Non, tu as raison. Je... je suis incapable de le lui dire en face. J'ai beaucoup trop peur que tout soit fini.

-Cet article te permettra de mettre tes idées au clair. Et, par la suite, n'hésite pas à prendre ton temps. Tu as toute la vie, Eva. Tu es encore jeune. Prends ton temps pour construire ce que tu veux avec elle.

Je m'attelais donc à ma tache: écrire le plus bel article qui soit, le plus profond, qui soit à la fois instructif et puissant, dans lequel on puisse ressentir mes deux passions, celle pour l'étude stellaire, et celle pour ma propre étoile, mon étoile brillante, celle qui éclaire mon ciel et a rendu mon univers si coloré, dans la nuit noire.

C'est avec une fierté non dissimulée que je lâche mon article sur le bureau d'Audrey. J'ai mis plus de temps que prévu pour l'écrire, mais il est parfait. Même Audrey la perfectionniste ne trouve pas grand chose à y redire. Elle semble émue, même si son émotion est comme toujours recouverte d'une épaisse couche d'hypocrisie journalistique et de jeu d'acteur.

-C'est absolument ma-gni-fique, Eva. Tu vois, quand tu veux! Il aura une belle place dans le journal de demain, je décale un autre article dans celui du lendemain rien que pour toi! C'est ok pour toi? Pas de modification de dernière minute?

Je réfléchis un instant, puis m'empare de la feuille et d'un stylo. Le titre est "Rencontre avec les étoiles". Je barre un mot et une lettre, et opère à ma modification. Audrey fronce un peu les sourcils.

-Tu es sûre?

-Parfaitement sûre.

Mon article s'envole ainsi vers les pages du journal, qui le feront voyager bien au delà des limites de notre petite ville. Mais je n'en ai cure. J'ai écrit cet article pour qu'il soit lu par une personne en particulier.

Je l'ai écrit pour toi.

Et son titre en est la preuve:

"Rencontre avec une étoile"

Car tu es mon étoile.