Ali-Baba et les Quarante Voleurs

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Source : Histoire d'Ali Baba et de quarante voleurs exterminés par une esclave

Malgré sa fatigue et sa gorge sèche, malgré la peur qu'il avait de mourir une fois le soleil levé et d'échouer dans son plan, Sheherazade resta sagement assis sur le rebord du lit et il reprit la parole pour raconter au sultan Schahriar l'histoire des quarante voleurs, d'Ali-Baba et de l'esclave qu'il avait affranchi et épousé.

—Il y avait une fois, dans la grande ville de Jawahra, deux frères nommés Kassim et Ali-Baba. A la mort de leur père, l'aîné avait convaincu son frère de lui laisser administrer tout l'héritage afin qu'ils en profitent tous les deux, et le cadet n'avait gardé pour lui que le peu d'argent qu'il possédait alors, gagné à la sueur de son front. A force d'avarice et de marchandage, Kassim avait fait fructifier la fortune paternelle mais il en avait tiré un grand amour de la richesse. Tant et si bien que, arrivé en âge d'homme, Ali-Baba se retrouva sans rien car son frère lui rétorqua qu'il avait amassé cette fortune à grand-peine et qu'elle lui appartenait tout entière.

- A ton tour de te débrouiller, dit-il en lui tournant le dos. Cet argent est le mien et j'en ai à peine assez pour entretenir ma maison. Tu n'es plus un enfant, tu peux désormais t'entretenir par toi-même, je n'ai plus aucun devoir envers toi.

Ali-Baba n'avait peut-être plus un sou vaillant en poche, mais il avait un cœur d'or, une patience d'airain et une volonté d'acier. Il accepta son sort et se prépara à quitter la demeure de celui qu'on nommait à présent Kassim le Marchand ou même Kassim l'Usurier. Il ne possédait rien de plus que les vêtements qu'il avait sur le dos, mais cela suffirait. Il était jeune et costaud, il trouverait de quoi subvenir à ses besoins. La seule chose à laquelle il ne pensait pas, c'était sa générosité, qui n'était pas chez lui synonyme d'épargne et d'économies.

Quitter la maison de son frère l'attristait mais ce n'était que la peine de constater que Kassim avait oublié ce que fraternité veut dire. A sa place, il n'aurait jamais chassé de chez lui quelqu'un sans lui donner un minimum d'aide, sans assurer qu'il aurait de quoi s'installer à l'abri du besoin. Mais il avait compris depuis un moment déjà qu'il n'était plus qu'une gêne, une bouche inutile à nourrir, dont son frère avait hâte de se débarrasser. Il était donc plutôt soulagé de s'en aller.

Le ballot contenant ses meilleurs vêtements passé sur l'épaule, le jeune homme traversa la belle maison de son frère et gagna la porte, qu'il allait franchir sans doute pour la dernière fois. Un instant encore, il s'arrêta et laissa son regard caresser le petit jardin intérieur avec sa fontaine et ses belles plantes colorées où chantaient des oiseaux, suivre le marbre des balcons et s'échouer sur les arabesques des moucharabiehs aux fenêtres du premier étage. Ces lieux paisibles allaient lui manquer, mais il y avait une personne en particulier à qui il aurait aimé dire un dernier adieu avant de partir. Morjian, l'esclave qui avait grandi à ses côtés et qui lui était très cher. Savoir qu'il partait sans espoir de le revoir un jour l'attristait, mais il ne se sentait pas le droit de demander cela à son frère, de peur d'attirer l'attentionsur son ami.

Alors qu'il se détournait enfin, un bruit de cavalcade légère l'alerta, des pieds nus touchant le sol de marbre frais avec grâce et des vêtements qui sefroissaient.

- Attendez !

Ali-Baba se retourna et ne put retenir son sourire à la vue de Morjian qui accourait vers lui, les joues rouges et les cheveux dérangés. L'esclave s'arrêta auprès de lui et plongea immédiatement à genoux sur le sol pour se prosterner à ses pieds.

- Je vous prie de me pardonner cette injonction, Maître, bredouilla le jeune homme. J'ai appris que vous quittiez la demeure et j'ai craint d'arriver trop tard.

Contes des Mille et Une Nuits [BxB]حيث تعيش القصص. اكتشف الآن