Le Sorcier et l'Amoureux

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Source : Le médecin et le jeune traiteur de Bagdad

Alors que s'achevait la deuxième année de leurs noces, Sheherazade commençait à réellement espérer être aimé en retour. Chacun de ses contes semblait se faire plus personnel, à l'instar de celui qu'il s'apprêtait à raconter ce soir-là. Il s'assit sur la couche qui était devenue tant la sienne que celle de son sultan et, bien installé contre son époux, il commença son histoire avec un petit sourire.

— On raconte qu'un sorcier venu de Huan Ghun voyageait d'île en pays, de royaume en sultanat, jusqu'à arriver sur l'île de Mujaw Harat. Il se logea dans le grand caravansérail aux portes de la capitale puis s'engagea dans les rues afin de parcourir cette belle ville qui était prospère grâce au commerce des diamants venus de Nasir Almas. En se promenant ainsi, le sorcier passa devant la boutique d'un traiteur, dans laquelle étaient présentés des mets et des ragoûts de toutes sortes. Le maître de cette boutique était un jeune homme d'à peine trente ans, dont le visage était aussi beau que la lune dans son plein. Sa mise était simple mais élégante, il avait de jolis pendants d'oreille et ses habits étaient si propres et si bien arrangés qu'ils semblaient sortir des mains du tailleur.

Cependant, en le considérant plus attentivement, le sorcier fut étonné de voir que ce jeune homme avait le teint pâle et les yeux tristes et que son visage était défait, portant l'empreinte d'un lourd chagrin. Cela l'arrêta et il salua le traiteur avec politesse. Ce dernier lui rendit son salut avec franchise et amabilité, sans que cela n'égaye son visage.

— Souhaitez-vous manger quelque chose ? offrit-il en désignant les plats disposés autour de lui.

Le sorcier était affamé mais, surtout, il était curieux. Il entra donc dans la boutique en faisant signe qu'il désirait effectivement manger, et le jeune traiteur commença à préparer des plats qu'il dressa de mets différents et tout à fait appétissants.

— Venez vous asseoir un moment près de moi, demanda le sorcier. Il me paraît que vous êtes bien pâle et triste. Quel est votre mal ? Y a-t-il longtemps que vous êtes dans cet état ?

À ce discours, le jeune homme poussa un profond soupir en s'asseyant près du sorcier et les larmes inondèrent ses yeux, qu'il essuya du revers de sa main.

— Pourquoi me demander, Seigneur, quel est mon mal ?

— Je suis un sorcier, et assez habile dans mon métier. Je suis sûr que je peux vous guérir, si seulement vous voulez bien me dire l'origine et les symptômes de votre maladie.

— En vérité... il ne s'agit pas d'une maladie, soupira le jeune homme. C'est un mal bien pire que ça : je suis amoureux, sans espoir d'obtenir celui que mon cœur pleure.

Cela intrigua grandement le sorcier mais, avant qu'il ne puisse l'interroger, de nouveaux clients entrèrent dans la boutique et le traiteur s'en fut les servir. Cependant, comme le sorcier avait dit pouvoir le guérir, le jeune homme le convia à le visiter le soir venu en sa demeure afin qu'ils partagent le dîner. Alors il lui conterait son malheur. Le sorcier accepta et, ayant fini son repas, quitta la boutique sur la promesse de revenir le soir.

La maison dans laquelle le jeune traiteur le reçut pour le dîner était fort belle et meublée avec goût, montrant la richesse de sa famille. Le jeune homme expliqua que ses grands-parents et ses parents avaient fait fortune dans le commerce de diamants avant de se lancer dans la cuisine et qu'il possédait désormais des sommes considérables qu'il employait avec la plus grande économie. Après un délicieux repas, le sorcier le pria de lui raconter son histoire.

— Mujaw Harat, l'île dans laquelle vous vous trouvez à présent, est gouvernée par le calife qui est un homme juste mais sévère. Jusqu'à l'an passé, j'avais le grand honneur de servir dans ses cuisines en qualité de premier cuisinier. Ce grand souverain a un fils dont la beauté peut passer pour un prodige et dont la bonté est sans pareille. Il possède une figure charmante, des yeux tendres et vifs, une démarche noble, une taille élancée mais aussi un cœur d'or et un esprit acéré. Enfin, c'est un assemblage de toutes les perfections et sa réputation le précède dans de nombreux pays. Plusieurs princes et souverains ont demandé sa main à son père mais... ces requêtes ont toujours été refusées, tant par le calife que par son fils.

Contes des Mille et Une Nuits [BxB]Where stories live. Discover now