Les Flammes de l'Arenghär ( Épilogue ) - partie 1

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NDLA : partie 2 postée en même temps. Navré, ça a été très (très très) long à venir cet épilogue. Mais cette fois, nous y sommes : premier tome fini. Yay. Je ne finirai jamais la saga avant de mourir de vieillesse, c'est parfait. 

*

Abords de Selm, le même jour. Crépuscule. 


Ils marchaient depuis plusieurs heures déjà, au beau milieu d'un paysage verdoyant, un printemps renaissant, riche de champs, de pâturages, de prairies et de bois. Leurs pas ralentis sonnaient sur la terre, si bien que lièvres et bécasses s'enfuyaient à leur approche. Çà-et-là, des moutons paissaient les prés, des enfants à dos d'âne criaient, des hommes courbés sur leurs outils grommelaient. Quelque part, une voix de fillette chantonnait un refrain de plus en plus populaire sur les terres de l'ouest :

« Après le blanc s'en vient le vert.
Renaissance chasse enfin l'hiver ?
Non ! Non ! N'crois pas c'que dit le roi !
C'est les rebelles qui ont fait ça ! »

Plus loin, des chevreuils se régalaient de bourgeons, d'écorce tendre, ou se désaltéraient autour d'un grand lac, tandis qu'ailleurs les marmottes sifflaient joyeusement sous les feux du soleil mourant. La nature était belle et tranquille. Et cette atmosphère champêtre aurait presque pu faire oublier la guerre. Rien ne laissait penser que Selm avait été ravagé par les armées du roi quelques jours auparavant, alors que le sang coulait encore à grands flots à l'Épine.

Un homme s'arrêta soudain et se retourna pour s'assurer que son escouade n'était pas suivie. Personne. Il ne vit que les cimes de Fracture qui se découpaient sur un ciel sans nuages. Là-bas, toute la neige avait fondu comme par enchantement. Les cryovolcans n'étaient plus que des montagnes grises aux cratères endormis. Le soleil n'avait pas encore rendu au paysage ses teintes d'autrefois, et, sans leur manteau blanc, les sommets rocailleux semblaient monotones, délavés, trop ternes, presque tristes ; ils contrastaient avec le foisonnement de couleurs et de vie qui régnait sur la plaine. Comme si malgré la fonte des glaces, la magie éternelle de Solafein avait laissé Fracture à son désespoir et sa grande solitude.

Rassuré, l'homme tapota le pommeau de son épée puis reprit sa route en hâtant le pas afin de rejoindre ses camarades.

Partout autour d'eux, Sérénité respirait, chantait, pure et fragile comme au premier matin du monde. Mais cette Renaissance de la nature, Thronar ne pouvait pas la voir. Une écharpe recouvrait ses yeux meurtris par la fureur de Pixx. Il allait à tâtons et n'avançait qu'avec la plus grande précaution, car, à chaque pas, soit une pierre, soit une ornière manquait de le faire trébucher. L'un de ses rebelles le soutenait par le bras et le guidait dans sa marche hésitante.

— Est-ce encore loin d'ici, messieurs ? Je crains que mes jambes ne se refusent à me porter davantage. Je vais avoir besoin d'une nouvelle halte.

Comme il l'avait annoncé à Isélia avant son départ, Thronar avait décidé de faire route vers Selm avec quelques miraculés de la bataille de l'Épine. Pour constater les dégâts subis par le berceau de la rébellion. Peut-être aussi pour sauver ce qui pouvait l'être encore. Alors qu'ils pensaient avoir repoussé l'armée de Zaak et mis un terme au carnage que faisait le Fléau, tous - sauf le blessé - avaient vu, à l'horizon, les colonnes de flammes dévorer le petit village. Si bien qu'ils ne s'attendaient guère à trouver de survivants. Mais il leur fallait au moins voir de leurs propres yeux le désastre, il leur fallait savoir, pour ensuite pouvoir informer l'illusoire rébellion d'Aredhel de la situation.

— Eh bien... hésita un homme. À dire vrai, nous sommes arrivés, sir Thronar. Selm est juste devant nous.

— Comment ? s'étrangla le chef rebelle. Et vous ne disiez rien !

— Mais, c'est-à-dire que... reprit un autre. Qu'on voulait être sûrs d'pas rêver, qu'vous voyez. C'est pas trop ce qu'à quoi qu'on s'attendait, là.

— Par le sang de Taïka, parlez ! s'écria Thronar, impatient. Que voyez-vous, dites-moi !

D'abord, un silence. On eût dit les cœurs trop lourds, trop remplis de choses confuses. Un cochon grogna, tout près, puis fouilla le sol de son groin ; juste avant qu'un homme ne daigne se lancer :

— Le village est intact. Il ne porte aucune trace de bataille ou d'incendie. Il n'y a aucun charnier. Nulles cendres ni fumée. Tout ce que nous voyons, ce sont des chaumières à demi cachées sous des arbres aux bourgeons gonflés, des gosses en train de courir et des braves paysans affairés dans leurs champs. Nous n'avons pas d'explication, mais Selm est indemne et tout aussi délivré de sa glace que les montagnes de Fracture. 

Thronar eut d'abord un coup au cœur, puis une bouffée de soulagement l'envahit. Il s'appuya de plus belle sur son escorte pour soulager ses jambes douloureuses. Plusieurs secondes passèrent. 

— Alors, Aräck avait raison, soupira-t-il. 

Il ne pouvait pas les voir - bien sûr - mais de par le silence de ses hommes, il devinait que tous les regards étaient braqués sur lui. Alors, il cita le défunt leader de la rébellion :

— Il rôde quelque part dans l'ombre et continue de veiller sur nous. S'il est encore ici, trouvez-le. Demandez aux gens. Je veux le rencontrer. Je veux savoir ce qu'il s'est passé. 

Il y eut d'abord des hésitations et des discussions passionnées, mais l'ordre fut rapidement exécuté avec une grande rigueur. Tandis que Thronar s'adossait à un rocher veiné de quartz pour se reposer, ses hommes se séparèrent à travers le village, interrogèrent les habitants, échangèrent avec les enfants. Et il ne leur fallut que quelques minutes pour trouver les renseignements qui les intéressaient. Car le nom de celui qu'ils cherchaient était de retour dans toutes les bouches. Comme il l'avait été autrefois. À une époque où l'idée de l'appeler l'étranger n'aurait pu venir à personne. 

Son nom. 

Bientôt Thronar entendit des pas s'approcher en grande hâte, accompagnés de murmures, de bruissements de tissu et de cliquetis d'armures de maille. Quelqu'un se posta devant lui. Une odeur sombre accompagna son arrivée ; un parfum âcre, amer, un parfum de souterrain, de feu de bois et de fourrure de bête mêlés. 

— Vous aviez raison, sir Thronar ! affirma sans attendre un rebelle. Nous avons trouvé votre homme. Il ne semblait pas très concerné par nos requêtes, mais il a accepté de nous suivre à l'évocation de votre nom de famille. Il est là, avec nous. 

Thronar se frotta le nez et renifla à grands coups. Lentement, il tourna la tête vers celui qu'il ne pouvait pas voir mais dont il sentait la présence silencieuse. Il eut un moment de flottement, puis, sans ambages, demanda :

— Qui es-tu ?

La question fouetta l'air autour d'eux. Les respirations se bloquèrent dans les poitrines tandis que non loin, des corbeaux s'envolaient en criaillant. 

Aucune réponse ne vint ; mais très vite Thronar percuta qu'il ne s'était pas présenté. Alors, il souffla du nez comme il en avait l'habitude lorsqu'il était contrarié, se racla la gorge puis tendit le bras en avant pour essayer de faire oublier son irrévérence :

— Je m'appelle Thronar Arandir, fils d'Arssadar Arandir, dit le Fier. Bras droit d'Aräck. Commandant de l'Épine. Qui es-tu ?

La poignée de main fut ferme et précise. Les doigts étaient rêches, la peau dure, irrégulière, bosselée ; une phalange semblait manquer. 

— Mateus Backlash. Ravi de te rencontrer, Thronar. J'ai bien connu ton père. Un grand homme. 

Taïka - Les Brèches du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant