Chapitre 4

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 Joachim

Le trajet se fait en silence, Kelly a l'air de repasser la scène de tout à l'heure en boucle devant ses yeux. Je sais que ça peut paraître étrange, surtout qu'elle ne m'a pas vu comme ça depuis longtemps. Moi-même, je suis déboussolé. Je connais Emilie depuis deux jours et elle arrive à faire, ce que Florian et les autres se tuent à essayer de faire depuis trois ans.

On arrive devant le skateparc, Kelly éteint le moteur puis, sans me regarder, elle descend de la voiture. Je sais très bien où elle va, pas besoin d'être devin. Je la rejoins sur ce banc où est gravé son nom et m'assois dessus. Elle triture ses doigts et me sourit.

— Je suis contente.

— Hm ?

— Que tu aies trouvé quelqu'un qui te...

— Stop, la coupé-je, je t'arrête tout de suite, cette fille n'est rien pour moi.

— Alors pourquoi je te vois enfin réagir quand tu es avec elle ?

Je fronce les sourcils en regardant le skatepark avec nostalgie.

— J'en sais absolument rien.

— Ne la fuis pas, s'il te plaît. Tu as besoin de ressentir à nouveau des choses, Joachim. Tu ne peux plus continuer comme ça. Que dirait ton...

— Tu voulais me parler de quoi, Kelly ? L'interromps-je avec agacement.

Elle me regarde tristement puis répond :

— C'est bientôt la date...

— Je sais.

— Je voudrais qu'on le fasse ensemble, cette fois-ci.

Je tourne la tête et pose des yeux interrogateurs sur elle.

— Ensemble ?

— Oui, c'est trop dur de le faire seule.

— OK, haussé-je les épaules.

Elle enroule ses bras autour de moi et me remercie en murmurant. Je sais à quel point toute cette situation est compliquée pour elle. Venir ici, sur ce banc, là où est marqué ton prénom par tous ceux qui t'aimaient, c'est dur. D'ailleurs, son écriture est dessus, tout comme la mienne.

Je sais que Kelly souffre depuis ce tragique événement. Je l'ai sorti plus d'une fois de la merde. La première année, elle n'était que l'ombre d'elle-même. J'ai passé les six premiers mois à l'empêcher d'aller te rejoindre. J'ai dû rester des nuits et des nuits à la surveiller pour ne pas qu'elle avale une nouvelle fois des putains de médicaments.

Tout ça, je l'ai fait pour toi. Parce que t'es parti sans la préparer, sans nous préparer. Sans un au revoir, sans explication. Moi aussi, j'ai cru mourir ce jour-là, mais j'ai préféré murer mes sentiments plutôt que de sombrer dans la folie. On gère tous ça comme on peut, mais ton absence laisse un vide immense dans nos cœurs et dans nos vies. D'ailleurs, mon cœur à moi est englouti par ce putain de vide. Il n'existe plus. Il n'y a plus qu'un trou béant au fond de ma poitrine.

Kelly sèche ses larmes en me remerciant encore. Elle se détache de moi après s'être excusée. Elle sait que je n'apprécie pas plus que ça d'être câliné. Je ne suis pas quelqu'un de très tactile ; les démonstrations d'affection, ça me donne la gerbe. Je l'ai laissée plusieurs fois m'enlacer, mais jamais je n'ai enroulé mes bras autour d'elle en retour. Ni elle, ni personne. Parce que la dernière chose que j'ai enlacée, c'était ton corps inanimé. Et je veux que ton empreinte reste gravée en moi, qu'elle ne soit jamais souillée par d'autres bras insignifiants.

À cœur perduWhere stories live. Discover now