III - 18. La science de la débrouille

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Si l'on s'en tenait aux événements passés, le Commandement s'était ridiculisé. Incapable de raccommoder les restes de la Deuxième Armée et d'installer une véritable ligne de défense, incapable peut-être de communiquer avec Yora elle-même, il sombrerait de nouveau. L'Empire prendrait la ville et y trouverait une assise confortable avant de se tourner vers Verde, dernier point stratégique de l'Orkanie fédérale.

« Le président Velt se trouve là-bas, se rappela John. Que se passera-t-il s'ils lui font signer la capitulation ?

— Le Commandement de Verde pourra choisir ou non de la suivre. Mais de toute façon, nous aurons perdu. »

Depuis la défaite de la Deuxième Armée, le sort de l'Orkanie dépendait de causes mystérieuses et inextricables que l'on choisit parfois de nommer le « destin ».

Deux hommes, deux namanes, firent irruption dans la tente. En un éclair, Cassandra fut sur ses pieds, un scalpel à la main, aveuglée par la lumière menaçante de leur lampe-tempête.

« Qu'est-ce que vous voulez ? »

Ils ne parlaient pas la même langue mais se firent comprendre d'un geste. Le tonneau. Maudit tonnelet qu'il fallait veiller toute la nuit, alors qu'ils avaient bien mieux à faire ! John, qui interposait son corps malingre, fut ramené à la raison d'une gifle en pleine figure.

« Vous n'avez pas le droit de faire ça » tempêta Cassandra, mélangeant des mots namanes à son orkanien pour qu'ils en saisissent quelque chose.

Mais les deux hommes semblaient ne même pas tenir compte de sa présence.

« J'en référerai à vos supérieurs. »

Ils partaient le lendemain ! Qui viendrait les chercher sur le front, qui leur courrait après pour un si piètre crime ?

Une silhouette se découpa derrière eux, aussitôt illuminée par la lampe. Cassandra y reconnut le vampire amputé de la jambe gauche, Vladimir Fédorovitch. Bien qu'il fût encore maigre et affaibli, elle n'avait jamais vu quelqu'un récupérer aussi vite. Le vampire ne se plaignait pas. Il s'était fait à ses béquilles et marchait sur trois pieds d'une tente à l'autre en transmettant parfois des messages entre Cassandra et son assistant.

« Qu'est-ce qui vous arrive ? »

Les regards tournés vers lui détaillèrent d'abord un blessé crasseux et pitoyable qui s'était levé trop vite, qui tenait à peine debout. Puis Vladimir se força à sourire, faisant briller ses canines. Elles n'ont pas servi depuis des lustres, semblait-il dire. Je ne tiens que sur un pied, mais je n'en aurai pas besoin sitôt bondi. Il me reste à choisir lequel de vous deux je mords, celui-là sera tué sur le coup. Une bien triste fin, tout ça pour dix litres d'alcool...

À leurs regards mauvais, qui disparurent aussitôt à l'extérieur, Cassandra sut que le vampire avait gagné ; sans rien dire et malgré son handicap flagrant.

« Merci, Vlad... il faut croire qu'ils ont vraiment peur de vous.

— Oh, non, c'est juste qu'un de leurs officiers m'a à la bonne, vous savez, le petit gars qui passait tout le temps discuter avec moi. Un passionné de la Salvanie. Je rêve d'avoir une maison à Twinska, qu'il m'a dit. Il n'est pas encore parti du camp. »

Fatigué de tenir debout et de jouer la comédie, Vladimir s'assit à côté de Cassandra et de John qui vérifiait que toutes ses dents étaient encore en place.

« Ils vont attaquer Yora, conclut-il. Moi, Leam et tous les autres, nous n'avons servi à rien. La Deuxième Armée n'a guère été qu'un nid-de-poule sur leur chemin.

— Je n'imaginais pas vous demander ça il y a trois jours, mais... est-ce que vous pensez que vous pourrez nous aider ? Les namanes vont abandonner le camp. Ils vont laisser les prisonniers derrière. La plupart vont marcher jusqu'à Fila, je pense. Il va falloir qu'on se débrouille pour transporter les blessés et les malades.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant