II - 11. L'assaut

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28 décembre 2018 – 1600 mots


Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort,

Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,

Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,

Les plus épouvantés reprenaient de courage !

Corneille, Le Cid


Frontière wostoro-fallnirienne, 25 août 2010

Deux jours avant l'entrée de l'armée fallnirienne en Wostorie, des troupes wostores campaient encore de l'autre côté de la frontière. À quelques lieues de distance, les lumières des feux de camp dansaient dans la nuit comme une armée de démons.

Vingt-quatre heures avant l'invasion, lorsque ces lumières s'éteignirent, on distribua aux officiers des ordres très stricts. Les dryens se préparaient à l'assaut ; peut-être avaient-il reçu des renseignements fournis par des ennemis de l'intérieur. On exhortait les hommes à la vigilance. Restez sur vos gardes, le plus dur est à venir ; la grandeur de Fallnir sera victorieuse, etc, etc.

On monta donc au front avec anxiété, le cœur guère allégé par la propagande guillerette, qui promettait des wostores démunis, sans armes autres que des fourches, des balles en liège, des obus qui explosaient dans les canons, et qui ne savaient pas tirer.

Il n'y avait rien.

Les soldats trouvèrent bien les traces des campements, des caisses vides abandonnées ça et là, même un camion en panne poussé sur le bas-côté. Mais les wostores avaient fui. Ce fut du pain béni pour le Rematin. Son très renommé commentateur politique en chef, Frédic Carmon, écrivit que dans leur méchanceté congénitale, les dryens wostores avaient même trouvé le moyen d'enlever à Fallnir le goût de sa victoire. Les voilà défaits par abandon !

Sur le terrain, Tristan vit d'abord les choses sous leur jour positif. Passée l'exaltation du déploiement à la frontière, l'imminence de la bataille avait creusé son lit d'anxiété, au point qu'à l'aube de l'assaut, il ne fut plus du tout sûr que le président Gérald avait pris là une bonne décision. Incrédule face au silence impérieux que leur renvoyait l'autre côté de la frontière, il fut d'autant plus joyeux qu'il avait eu peur ; la première victoire de Fallnir fut dignement fêtée, avant de passer à la suite.

La suite, la première ville frontalière, vint le soir même. Les éclaireurs rapportaient que l'armée wostore était introuvable, aussi avança-t-on gaiement sur les routes, en espérant trouver là-bas un gîte pour la nuit. Mais quelles étaient ces nouvelles lueurs dans la pénombre naissante ? C'est que la ville brûlait.

Surpris, les soldats ruèrent dans les allées en cherchant l'origine du sinistre ; or il y en avait partout. La moitié des habitants avait déserté la ville ; l'autre arpentait les rues avec des grimaces sévères, indifférente aux incendies comme à l'invasion. Des groupes d'enfants goguenards se formaient à distance des soldats ; ils seraient prompts à leur chaparder ce qui passerait sous leur nez.

La journée durant, Tristan avait marché avec un groupe de soldats aux côtés de son commandant de compagnie. L'homme affichait un air soucieux, à contresens de l'entrain général. Il avait essayé de parler d'Armand Gillian ; puisque le commandant l'avait connu au Collège des Ingénieurs, serait-il intéressé de savoir que le fils Gillian était réapparu ? Mais il avait reçu que ce regard contrit, celui du parent dérangé dans son travail par un enfant turbulent.

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