II - 3. Lendemain de fête

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Seul, Kaldar vainquit les forces de l'Aton, balayant ses armées et ses espoirs de conquête.

« Ton règne s'achève avant d'avoir commencé » dit-il.

L'Aton, enferré de lumière, faisait face aux abîmes. Bientôt il descendrait dans le gouffre, seulement accompagné d'autres âmes déchues, et rien n'amortirait l'écroulement de son orgueil.

« Ma colère est immense et ma haine insatiable, gronda le vaincu. Tu plantes en ce jour les ferments de ta ruine. Je reviendrai plus fort de mon isolement. Sorti de cette prison, je serai inarrêtable. »

Kaldar quitta du regard cette silhouette qui se déformait dans les ombres. Ayant libéré l'univers des mensonges de l'Aton, il reconnaissait là la seule vérité jamais proférée par le dieu – il serait abattu à son tour. Cette prophétie qui annonçait sa fin causa elle-même sa perte.

« Nous sommes les derniers dieux ! » rugit encore l'Aton.

C'était vrai encore. En refusant la lutte menée par Kaldar, leurs homologues s'étaient abandonnés à l'oubli. Nul ne prendrait le flambeau lorsqu'il tomberait de ses mains. Et tandis que mouraient les lointains échos de la chute de son plus grand ennemi, Kaldar sut qu'il était enfermé lui aussi ; deux vérités le tenaient dans leurs chaînes, incapable de prévenir le retour d'un adversaire trop puissant pour l'univers...

Adrian von Zögarn, Notes sur le kaldarisme


Twinska, capitale de la Salvanie, 26 mars 2010


Vladimir était encore en uniforme de service lorsqu'il vint chercher Leam à la salle de sport.

Twinska ne parlait que des lumières de la veille, mélangeant les hypothèses les plus sérieuses et les plus farfelues. Des extra-dalniens étaient venus comparer la bière locale avec celle de Yora. Un vaisseau des anges était rentré trop bruyamment en atmosphère. On avait encore tenté de faire voler un plus lourd que l'air lors d'un essai aéronautique. On insistait sur le mot aéronautique, pour montrer qu'on avait de la culture et qu'on lisait les journaux. Pour sa part, Vlad savait à quoi s'en tenir, Leam l'avait dit la veille. Eden, qui cerclait depuis toujours à huit cent lieues de la surface de Daln, était tombée sur la planète. Le choc avait eu lieu en Salvanie orientale, dans le parc naturel, peut-être même dans l'océan.

Le lendemain matin, ou ce qui s'y apparentait dans cette demi-ombre perpétuelle de l'hiver austral, le peuple de Twinska s'était rué sur les journaux. À sa déception, il n'y trouva qu'une mention laconique des lumières de la veille, un service minimum du Consultat, qui annonçait « investiguer la question ». Aucune menace pour la sécurité des citoyens, donc pour l'heure, pas de panique, etc, etc.

Les anges gardiens et diplomates de Twinska, certes peu nombreux, ne donnèrent pas signe de vie le lendemain. La garde nationale tenait une réunion dans l'après-midi, à laquelle devait assister une partie de la garnison. Ironie du hasard, Vladimir y reverrait le colonel Viktor en de toutes autres circonstances qu'au bal. Nul doute que des diplomates seraient aussi présents, peut-être le baron Jassois, qui sait ?

Attendre dans le froid la sortie de Leam, au pied d'un lampadaire en panne, lui rappela leur première rencontre. Tout lui rappelait leur première rencontre. Peut-être voyait-il déjà approcher des temps sombres et se raccrochait-il au plus important.

Une porte vitrée grinça ; un petit groupe de vampires sortit de la bâtisse en devisant gaiement. Avec ses vitres brisées clouées de planches, ses briques rouges délavées par le temps, sur lesquelles la moisissure traçait de longues coulées verdâtres, la salle de sport du quartier semblait abandonnée. C'était ici le dernier endroit où ces vampires que l'on dirait là-bas moins gâtés par la vie pouvaient échapper à leur quotidien de petits artisans, d'ouvriers ou d'employés de bureau désargentés. Le lieu par excellence où on pouvait se venger contre la vie elle-même par l'intermédiaire d'un sac de sable suspendu à un crochet.

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant