III - 18. La science de la débrouille

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30 décembre 2018 – 2400 mots


On rapporte que Bombastus était en pleine expérience de transmutation, tenant d'une main le soufre, de l'autre le salpêtre, appuyant du pied droit sur une braise qui manquait de mettre le feu à son atelier, lorsque son assistant d'alors lui posa la question.

Qu'est-ce que l'alchimie ?

Après cinq cent ans de recherches, je m'en tiendrai à cette citation apocryphe du grand Bombastus.

« L'alchimie, c'est la science de la débrouille. »

On rapporte aussi qu'il remplaça le sang de vipère par de l'alcool de poire, et que son expérience fut un succès.


Adrian von Zögarn, L'alchimie expliquée à mes petits-enfants


Orkanie, Trois cent lieues au sud de Yora, 13 mars 2011


Kilan n'était jamais revenu.

Cassandra avait tenté de tirer quelques informations auprès des officiers et soldats namanes du camp. D'abord, Erlena, l'archange qui était passée cracher sur Kilan, était morte. Elle avait été tuée dans la forêt par des soldats de la Deuxième Armée en fuite. Des anges déchus étaient venus, ils avaient emmené Kilan ; ils étaient revenus avec Erlena et sans Kilan. Et ces officiers se taisaient après coup, conscients qu'on ne les croirait sans doute jamais. Ces mêmes hommes qui avaient vu l'archange étendue par terre dans son sang, le cœur à l'arrêt depuis des heures, avaient ensuite assisté à son retour, affaiblie et chancelante, soutenue par les autres anges, encore couverte de sang et de blessures. Elle respirait. Elle vivait. Et les soldats qui, la veille, s'étaient agglutinés autour d'elle de fascination, s'en étaient écartés avec horreur.

Le chef des anges déchus, Samaël, s'était ensuite entretenu avec les officiers.

Tous les jours, toutes les heures, le camp semblait changer sans cesse. Les soldats discutaient entre eux, se saluaient et s'embrassaient, puis des sections se réunissaient, paquetage sur le dos, et quittaient le campement. L'armée marchait vers le Nord. L'Empire marchait sur Yora.

Cassandra n'avait pas le temps de prendre conscience de ce mouvement, de ses ramifications et de ses implications sur elle et sur les prisonniers de la Deuxième Armée. En l'absence de Kilan, elle et John étaient seuls à pouvoir sauver ces malheureux. Sur ordre ou spontanément, les autres médecins avaient quitté leur poste ; ils se retrouvaient seuls avec cent blessés et malades, parfois très graves. Ils manquaient de tout. Cassandra désinfectait maintenant les outils et les plaies au Wiska, un alcool distillé d'Orkanie dont ils avaient obtenu un tonneau au service d'approvisionnement de l'armée namane. Elle et John dormaient à côté de ce tonneau. Car s'il s'agissait pour eux d'un outil de travail, les soldats namanes sur le départ y voyaient surtout une réserve de bon alcool gaspillée, dont ils auraient bien besoin pour se donner du courage avant l'assaut final.

Le soir du 13 mars, elle ne trouvait pas le sommeil, pas plus que John. Le campement s'était vidé de la moitié de son personnel et les officiers ne semblaient pas avoir tranché quant à l'avenir des blessés. Faute de pouvoir les laisser ici, il aurait fallu les renvoyer à Fila ; mais dans ce cas, il faudrait qu'on leur prête des véhicules.

« À votre avis, docteur Hilbert... est-ce qu'ils vont prendre Yora ?

— Je n'en sais rien. »

La Chute d'EdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant