Chant 29 - La vie n'est qu'une journée

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Il ne lui restait plus que quatre jours de vacances, qui n'en serait pas vraiment puisqu'elle s'était engagée pour assurer une semaine d'animation au centre de loisirs. Il ne s'agissait plus de quelques heures volées après les cours, mais de journées complètes à occuper des préadolescents turbulents et surexcités par les fêtes. Au silence de l'appartement de ses parents avait succédé le brouhaha et les cris des enfants. Tous les soirs, elle rentrait épuisée chez elle. Malgré l'essaim d'abeilles qui bourdonnait sous son crâne elle n'avait besoin d'aucun bras pour la bercer, elle s'endormait comme un bébé dès que sa tête se posait sur l'oreiller. Son stage se passait bien, l'équipe d'animation avait été accueillante et indulgente envers son inexpérience. On lui avait juste demandé d'être un peu moins discrète et de se lâcher un peu plus, chose qu'elle avait beaucoup de mal à faire en dehors de son cercle d'amis. Mais à passer dix heures par jour avec le même groupe d'individus, d'inévitables affinités finissent par se tisser. Sans qu'elle l'ait consciemment cherché, elle attira dans son sillage une animatrice de cinq ans son aînée. Algérienne par son père et Lorraine par sa mère, elle avait le teint mat, de longs cheveux noirs de geais qui tombaient de manière un peu folle dans son dos et des yeux marrons en forme d'amande. Contrairement à la Boulette, elle savait se montrer démonstrative. Que ce soit avec les enfants ou avec les parents, elle conservait une attitude très énergique et enjouée. La Boulette découvrira bien plus tard que, derrière cette façade d'éternelle adolescente, se cachait un caractère bien plus mâture et tourmenté qu'elle ne le laissait entrevoir. Quand elles eurent, pour la première fois, une activité à mener ensemble, leur entente se fit de manière extraordinairement naturelle. Leurs caractères s'emboîtaient comme les pièces d'un puzzle. La tempérance de l'une apaisait l'exubérance de l'autre et la vivacité de l'une apprenait le lâcher prise à l'autre. Même si la journée avait été harassante, tous les soirs, la Boulette se laissait convaincre de l'accompagner jusqu'à sa station de métro. Même si cela signifiait qu'elle rallonge considérablement son temps de trajet. Elles discutaient de tout et de rien, se refaisaient le film de la journée, se plaignaient souvent du rythme de fou qu'elles subissaient au travail. Parfois, elle continuaient de discuter longuement à l'entrée de la station de métro en en laissant passer plusieurs avant de se décider à se séparer. En temps normal, sortir de son lit le matin était un vrai calvaire, d'autant plus en pleine période de vacances. Elle avait une véritable passion pour les grasses matinées. Or, là, malgré la fatigue, elle ne rechignait pas à se lever et envisageait les journées à venir avec confiance. Entre les ateliers de confection d'objets plus ou moins esthétiques, les sorties à la piscine - où elle se portait immédiatement volontaire - au parc et autres endroits tout aussi exotiques, elle en oublia que la St Sylvestre approchait à grand pas. Elle fut brutalement sortie de sa léthargie par le coup de téléphone de sa petite réunionnaise.
— Salut Miss, tu viens à quelle heure demain ?
Demain? Déjà ? Les quelques semaines qui lui avaient parues insurmontables, étaient passées en un éclair. Une petite boule compacte se forma dans sa poitrine mais il lui fut difficile de discerner s'il s'agissait d'impatience ou d'appréhension. Elle avait presque réussi à se sevrer de lui et allait de nouveau se retrouver en sa présence. Elle se demandait s'il avait tenu sa promesse, s'il était possible d'avoir une relation équilibrée, et surtout, le voulait-elle ; car si le manque avait été difficile à supporter au début, les jours suivants il s'était peu à peu amenuisé pour ne devenir qu'un regret diffus. Alors peut-être était-elle guérie, qu'elle était assez forte pour ne pas succomber une nouvelle fois. Son instinct lui dictait de se rétracter, quitte à décevoir son amie, mais son côté bravache lui intimait de se confronter au problème et de lui dévoiler ses crocs.
— Dis-moi à quelle heure tu veux que j'y sois, et j'y serai !

Jolie Petite HistoireWhere stories live. Discover now