Le don

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Il était arrivé devant un arbre malingre et solitaire en sa pelouse clairsemée. L'arbre avait souffert, son tronc était griffé, quelques branches étaient cassées. Il avait la charge trop lourde, au centre de l'îlot de béton, de faire forêt à lui seul.

C'était à moi qu'on posait la question, mais dans un monde plus fort que moi, où nous sommes selon les circonstances victimes ou bourreaux. Où ceux qui pleurent, si cela tourne, feront pleurer. Où tous les discours justifient ce qui n'est qu'aux opportunités. Et où, nous le savons, écoutons les bla-bla selon nos dépendances et par elles bla-blatons, plus souvent en nos mêmes qu'au verbe qui le sonne. Où tout ce cirque ne tourbillonne qu'à l'axe de la caisse. Ce cirque comme la roue d'un casino où nous misons nos vies, chantons nos victoires, sanglotons l'injustice. Comme la roue trafiquée pour que certains jetons soient, moins que jetés, placés. La roue vouée aux dieux Hasard et Nécessité, dont les prêtres capitalisent l'offrande.

Il sentait tout cela, sentait sa société virer au jeu de la chaise montée dans un manège, un tourniquet qui centrifugerait tous ceux qui n'auraient ni assises ni ceintures. Il voyait le naufrage dans ce mouvement de typhon, le temps venu où il n'y a de place qu'à soi.

Et dès lors l'urgence d'en quitter le bord, de se hisser au mât sans regard en arrière.

D'autant que dans ce monde ce n'était pas seulement qu'il y avait moins de chaises que de culs, et de moins en moins, c'était aussi, c'était surtout, qu'il n'en avait aucune taillée pour le sien... Comment alors, comment dans cette difficulté être plus qu'un cul ?

D'abord mon cul. D'abord ma vie.

Mais l'enfant ?

Il y a trop d'humains, la preuve on les gâche, alors à quoi servirait un de plus ?

On ne peut pas sauver ce monde, il ira jusqu'à casser. Et on ne peut lui échapper, il est partout par définition. Aussi, faudrait-il mieux suivre son mouvement que s'y écraser. D'ailleurs les plus malins courent devant pour se garantir et le font mieux léger.

Oui... Mais il y avait ces deux qui s'espéraient...

On ne peut pas sauver ce monde, mais est-ce dire qu'on ne peut sauver personne ?

Que pesait ma vie ? Que je la jette en confettis ou la place en banque, que pesait ma vie ?

J'étais le malheureux, je devenais mauvais.

Que pesait ma vie d'échecs, de fuites, face à l'espérance de l'enfant ? Face au désir de vie d'une femme ?

Rien.

Je pouvais être fort, je pouvais avoir la tête dure, je pouvais donc faire étrave.

La coquille dont elle sera le fruit, l'aimande.

Faire ce qu'il faut. Pour eux.

Mais "faire ce qu'il faut", c'est accepter de se faire de cela. Et pourquoi ? Pour une fille qui n'est même pas mon genre ?

"Pas mon genre" comme mon Intello.

Alors que mon genre...

Attendre son genre et espérer en être le sien, n'est-ce pas jouer à la loterie ?

Mais est-ce qu'on pouvait sortir l'amour de sa roue et en faire une décision ?

Peut-on choisir qui aimer ?

La Femme fruit était destinée à être dévorée en sa surabondance, comme, ce mois durant, je l'avais grignotée. Ce n'était pas ma faute si elle se protégeait mal.

Du cahot de l'anthropieWhere stories live. Discover now