Il était tard, les gens quittaient, le salon allait s'éteindre, la nuit était froide. On m'a invité à rejoindre, au bout d'un couloir, une chambre que je croyais celle de la Dure à cuire, une pièce noire dont je n'ai pu trouvé l'allumeur, et lorsque mes jambes ont heurté le bord d'un lit je me suis dévêtu et couché.
Il y avait dedans un corps chaud et doux, un corps de femme. Il fit comme faisait.
Elle m'avait déjà vu, observé, avait entendu ce qu'on disait de moi. "Quelqu'un dont on dit autant de mal ne peut être tout à fait mauvais. Et puis il est beau."
Elle m'avait vu de loin, alors que je ne l'avais même pas remarquée au salon. Pas mon genre. J'avais goûté dans l'obscurité son corps du mien, il en est qui sont mieux de peau à peau qu'à l'œil. Et je n'ai commencé à la voir qu'au matin.
Mais avant, il avait su que la Femme fruit avait un corps.
Il faut, pour jouir de l'autre d'abord se jouir de soi. Et la Femme fruit était pleine de son jus. Elle avait joui de ma main parce qu'elle jouissait de sa peau.
Au matin, il sut pourquoi il ne l'avait pas vue : un corps lourd aux courbes molles et un visage sans mystère. Mais ce corps, il en connaissait la beauté par la peau, et en l'absence du masque il vit la clarté du sourire et la gentillesse des yeux qui le regardaient.
Et lui vint la crainte de la blesser.
Elle était une chatte dont j'avais aimé le goût, et qui de plus m'avait donné ses caresses en doigts hésitants comme en peur de s'y brûler. Mais je savais que cela ne suffirait pas, plus rien ne suffisait. Et puis elle n'était pas mon genre, trop Rubens, pas assez orientale, pas assez Bethsabée.
La Femme fruit m'a dit : "Si nous allions chercher des croissants avant que tous s'éveillent ?"
Elle s'est rhabillée avec cette impatience qu'ont parfois les enfants au matin.
Il y avait en elle un élan vers la vie, vers les vies.
Et j'ai répondu à son sourire : "pourquoi pas ?"
Et ce ne fut pas que pour les croissants.
