Le bal des médiocres

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Le sale type n'était plus qu'en son coq. Mais un gallinacé décapité n'avançant que par son automate. Au fantôme de son refus de l'indifférence, lissée de routine ; de cette cruauté niée au discours mais appliquée par le pouvoir que donnait la distance à qui s'approchait. Il était face à ceux que l'on ne nommait pas les fous, pour les décliner pire encore aux spécialités, comme à des gens normaux tout aussi singuliers mais en plus douloureux. C'était leurs souffrances, plus vives que sienne, qui faisaient qu'il n'arrivait pas à se refuser à eux. Et cela permit, d'un motif officiel dont il ne fut pas question, qu'on lui ouvre un conseil de discipline, composé en une moitié de l'administration, en l'autre de ses camarades.

On m'a laissé dehors et, après un petit temps, une déléguée est venue pour me demander si j'acceptais de me faire soigner. J'ai appris qu'un médecin prétendait que j'avais sollicité son aide.

Quand on m'a convoqué, j'ai vu la décision aux visages. Sans dire un mot, ils attendaient que je réponde à ce que je n'avais pas entendu.

"Il parait que je suis malade. C'est sûrement vrai puisqu'un docteur le dit. D'autant qu'en cette matière nous le sommes tous un peu. Je connais la plupart d'entre vous, assez pour connaître aussi vos maladies. Le discours que j'ai retenu ici, c'est qu'il y a les malades et nous. C'est sans doute pour préserver cela qu'on instaure la distance thérapeutique. Je crois que vous avez tort, à trop se protéger on perd toute chance de devenir un soignant. Il faut passer par ce qui éveille notre propre blessure, ne pas esquiver celles de ceux qui nous sont confiés, pour devenir un soignant. Ceux qui sont ici comme à l'usine, à l'écoute du contremaître. Les médecins qui savent plus qu'ils n'interrogent. Ceux que cela ne rend pas malades au premier abord et inconfortables aux suivants, ce sont ceux-là qui devraient partir."

Ils l'affectèrent à la buvette avec comme instruction de servir sans parler.

Le silence m'allait, je n'avais plus le goût de dire, ni le quoi. C'est au comptoir que sont venus, un par un, pour me demander mon absolution, la plupart de ceux qui avaient voté contre moi. Ceux qui regrettaient, celles qui auraient été trompées. Je la leur ai donnée, je ne sais pas pourquoi. Je connaissais déjà mon inconfort aux autres, mais mon dégoût s'est posé là. Même pas capables d'assumer. De bons gars, de bonnes filles, et pourtant ni au bien ni au mal vraiment, selon qui, selon quand. Et s'arrangeant toujours avec cela. Mais moi je ne le pouvais plus avec eux.

Son absolution fut un adieu.

Parmi les malades, il y avait évidemment des malades du cerveau. Mais aussi, d'autrui, société, famille ou rencontre. Avant que malades ils étaient symptômes de nos poisons. Des fragiles comme les canaris des mines. Maillons faibles qui un jour ne savent plus faire avec le selon-selon et lâchent. Il y a une tricherie en chacun qu'il ne faudrait jamais voir. Il y a un jeu où qui ne triche pas perdra. Le triste bal des médiocres. À l'envers des assassinats de masse, les assassinats par masse où chacun ne donne qu'un petit coup, les crimes parfaits sans coupables par trop de mains.

Oui... sa misanthropie a fini de se clouer Là. Au spectacle de l'alliance du mensonge et de la lâcheté, de la morale selon le groupe, l'usage, portée par personne. À reconnaître aux êtres relatifs les médiocres.

Du cahot de l'anthropieWhere stories live. Discover now