Les jambes courtes

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Il fut une fois un petit garçon rond aux jambes courtes, né de la rencontre du Sud et du Nord, d'un Espagnol affamé et d'une Danoise curieuse. Un petit qui eut un nom par eux, mais un pays des années plus tard. Ce fut un enfant calme et doux, si confiant qu'au grand dam de sa mère il suivait qui le voulait.

Du monde il ne connaissait que son foyer, au creux de l'amour de ses parents. Mais, à l'école, il apprit qu'il était lent, le dernier à lacer ses souliers jusqu'au dernier à lire, si lent que la maîtresse lui saignait la tête contre le radiateur pour l'éveiller. Et, dans la cour de récréation, là où l'on relâche les règles pour la nature, il prolongea son apprentissage de la cruauté et de l'indifférence.

Longtemps j'ai couru devant qui me poursuivait, si longtemps que cela me parut toujours. Fuyant la meute qui me renversait, moquait, relevait pour que je coure encore, autour des adultes concentrés sur le rougeoyant de leurs cigarettes et de leurs bavardages. Sans doute se disaient-ils "Ainsi est la vie, il faut bien que les enfants courent ".

Un jour, il y eut un trop, et l'enfant s'arrêta.

Hurlant, je me suis saisi du gravier et l'ai lancé de toutes mes forces, et plus encore, sur mes poursuivants, puis sur tous ceux qui s'amusaient derrière, puis sur les surveillants alarmés. Vidant la cour comme on envole un amas de pigeons.

J'ai été puni...

...il n'eut plus à courir.

On devrait faire attention aux petits enfants, ce qui les blesse les forme.

Il avait accueilli la colère et, par son soutien, contré sa peur. Mais il perdit la confiance, terrifié comme on dit d'un fossile pétrifié, sans retour possible à celui qui s'ouvrait.

Ainsi, de lieu en lieu, je me suis battu rarement et trop, gagnant mon territoire par rages, cognant comme n'ayant rien à perdre contre qui n'avait plus rien à gagner, d'une telle façon que je n'aurais pas à le refaire.

Ce qui m'allumait, ce n'était pas tant la violence, l'ordinaire des vies qui se contrariaient, c'était la cruauté, là où la brutalité se fait plaisir.

Et même quand il sera assez reculé, au fond de son isolement, pour s'abstraire de l'humanité, il pourra, malgré lui, s'en extraire pour empêcher la cruauté aux autres. Mal gré, car il n'a pas beaucoup de courage, que du cœurage. S'il en avait vraiment eu, il aurait osé vivre.


Du cahot de l'anthropieWhere stories live. Discover now