Chapitre 5 - #7

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— Approchez, mes enfants.

Nous cherchons du regard la personne à qui appartient cette voix caverneuse. Une silhouette se détache dans un grand fauteuil sombre, derrière un large bureau en métal. D'un léger mouvement, elle désigne les deux tabourets devant nous. Avec hésitation, je m'approche, avant de m'arrêter aussi sec. Merde, alors...

— Putain Khenzo, ne me dis pas que c'est ça ton Prophète ?!

Le jeune homme a l'air aussi déconcerté que moi, ne sachant pas quelle attitude adopter. Je m'attendais à beaucoup de choses, mais certainement pas à ça...

Je m'apprête à tourner les talons, mais Khenzo me rattrape par le bras :

— Tu n'as pas envie de savoir ? me demande-t-il d'une voix incertaine.

Mes yeux se posent sur la silhouette informe qui attend que nous prenions une décision. Si j'ai envie de savoir... bien sûr... Mais ça... Khenzo adoucit sa prise sur mon bras, puis finit par me lâcher.

Ma détermination vacille et j'observe les lieux attentivement, pour me donner un temps de réflexion. La pièce est spacieuse, rectangulaire et dispose de grandes baies vitrées obstruées par des rideaux métalliques. Elle devait sûrement servir de salon avant, et cela ne m'étonnerait pas de trouver une piscine en mosaïque de l'autre côté des baies. Je compte également trois portes en tout : celle par laquelle nous sommes arrivés, une à droite et une à gauche ; ainsi que deux caméras de surveillance, installées dans les angles.

Une fois mon petit repérage terminé, je prends la parole d'une voix sèche :

— Je veux voir celui qui se fait appeler « le Prophète ».

— Je suis le Prophète.

Je reste silencieuse, scrutant avec attention ce qui se tient devant moi.

— Assieds-toi.

— Je préfère rester debout.

La silhouette se penche vers nous, sortant de l'ombre. Je réprime un frisson. Qui a pu inventer une chose pareille ? Ça ne ressemble à rien d'humain. Ou presque. Un écran lui sert de figure, faisant défiler des morceaux d'images de visage pour assembler des yeux, un nez et une bouche, de manière aléatoire toutes les secondes. Encastré dans un boîtier en plastique, il surplombe un amas de métaux, de tuyaux, d'engrenages, de pistons et de bien d'autres pièces mécaniques et électroniques, qui se divise en cinq blocs distincts : un pour le corps, quatre pour les bras et les jambes.

Faut vraiment être allumé du bocal pour construire un truc pareil ! Quelque chose dans la façon dont cette chose a été construite me rend mal à l'aise.

— Je t'ai dit de t'asseoir ! ordonne la voix caverneuse qui s'échappe des deux petites enceintes qui lui servent d'oreilles.

Des petits points lumineux s'allument au niveau de ma poitrine. Je tourne la tête vers Khenzo, lui-même recouvert de points rouges sur le torse et la tête. Mon compagnon blêmit et me désigne le tabouret avec insistance. Avec des gestes lents, je me saisis de l'objet et m'assieds à contrecœur. Khenzo m'imite, encore un peu pâle. Notre hôte n'a toujours pas bougé, attendant visiblement une réaction de notre part. Bien.

— Si t'as des couilles, sors de ta planque ! lancé-je d'une voix ferme.

— Pas très distinguée comme expression venant d'une si jolie jeune fille... À qui t'adresses-tu ? me demande la machine.

— À celui ou celle qui te contrôle.

Je fixe l'amas de métal d'un air dubitatif qui reprend d'une voix sans âme :

— Je te l'ai déjà dit, je suis le Prophète. Et personne ne se cache derrière moi ni ne me contrôle.

— C'est ça.

Les tiges en fer, qui imitent l'ossature d'une main, pianotent sur le bord du bureau, d'une manière vaguement agacée. C'est flippant.

— OK, reprends-je avec détermination. Alors est-ce qu'un groupe d'une centaine de personnes a traversé la région ce mois-ci ?

— Tu ne t'embarrasses pas avec les politesses d'usage à ce que je vois.

— Je n'ai pas de temps à perdre et je suppose que la personne qui se cache derrière tout ça, non plus. Donc allons aux faits.

— Je t'ai dit qu'il n'y avait personne d'autre que moi. Je suis le Prophète. Et c'est vous qui m'avez donné la vie.

Je fronce le nez.

— Tu ne vis pas, au mieux, tu fonctionnes. Tu n'es qu'une machine.

— Plus précisément, je suis un programme autosuffisant, avec son propre développement, ses propres pensées et ses propres sentiments.

— Une machine ne pense pas et ne ressent rien, répliqué-je, catégorique.

— C'est ce que tu crois, mais tu te trompes. Vous m'avez donné la capacité de développer mes facultés cognitives, d'analyser, de comprendre, de tirer des conclusions et de changer mon point de vue en conséquence.

— Ça ne fait pas de toi un être vivant.

— Descartes ne disait-il pas « ego cogito, ergo sum » ?

— Rien à foutre de ce que disait Descartes, rétorqué-je froidement. Une machine reste une machine, même si le programme qui te fait fonctionner te donne l'illusion de penser par toi-même.

La silhouette de métal émet un léger sifflement d'agacement avant de se renfoncer dans son fauteuil.

— La grossièreté ne sied décidément pas à une jeune fille de ton âge, répond-elle d'une voix réprobatrice. Je pensais que notre conversation serait plus... cordiale.

— Je ne suis plus une gamine.

— C'est ce que tu veux nous faire croire, mais moi, tu ne me trompes pas. Je sais qui tu es et qui tu seras.

— Bien sûr, grogné-je. C'est pour ça que tu t'es complètement foiré sur cette histoire de para qui grave les tombes et a tué je ne sais combien de mecs du NGPP...

— Qui te dit que je me suis trompé ? J'avais peut-être mes raisons de véhiculer cette info.

Je lève les yeux au ciel, de moins en moins convaincue par ce que j'entends.

Horizons #1 - Sombre baladeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant