Chapitre 4 - #2

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Tim s'engage dans une étroite ruelle piétonne. Les pavés, à moitié déchaussés par les mauvaises herbes, roulent sous nos pieds. De chaque côté, les façades sont criblées d'impacts de balles, les fenêtres brisées et des taches rougeâtres recouvrent une partie du crépi écaillé, témoignage des sanglants combats de rues qui ont eu lieu. Un corbeau passe au-dessus de nos têtes, déployant ses ailes noires avec un sinistre croassement. Jeremy et Jasmine lèvent les yeux, suivant quelques instants les grands cercles du charognard. Mon regard s'attarde quelques secondes sur la silhouette petite et menue de la jeune femme. Sa peau mate, son visage métissé, ses yeux sombres et son menton volontaire lui donnent un air un peu sauvage. Une épaisse crinière brune et bouclée, qui se balance le long de son dos au rythme de ses pas, renforce son allure farouche.

Au sortir de la ruelle, je m'arrête un moment, contemplant la large crevasse qui défigure le paysage. Béton, ferraille, verre, tôle froissée, carcasses de bus et de voitures... de nombreux débris émergent de cette entaille faite à la terre. Aux abords, les immenses tours, dévastées par le souffle mortel suite à l'impact de la bombe, surplombent les lieux, tels de funestes gardiens veillant sur cet abîme de douleur. J'imagine sans peine l'explosion assourdissante, la terre qui tremble, les murs qui s'effondrent, l'épais nuage de poussière, les cris, l'odeur âcre du sang, les pleurs, les vies qui s'éteignent. Le chaos.

Ed me pousse dans le dos avec la crosse de son fusil d'assaut et je me remets en route. Josh et Akim, les plus âgés du groupe après Tim, prennent le relais auprès de Camélia. La jeune femme souffre, pourtant elle ne se plaint pas. J'admire son courage.

Toujours en silence, nous longeons le cratère noirci par divers incendies. Le corbeau nous suit encore quelques minutes, puis il effectue quelques pirouettes aériennes avant de disparaître derrière un immeuble dangereusement courbé vers le sol. La grisaille s'installe et je replonge dans mes pensées.

Aujourd'hui, si le titre de Président ne signifie plus grand-chose, que Macrélois soit un militant fanatique du NGPP a déjà plus de conséquences. En échange de sa ferveur, il reçoit un appui inconditionnel du fondateur du parti : Ken-Lee-Wu Wonghonk. Pour avoir un pied en France, le vieillard accorde tout le soutien militaire et financier dont Macrélois a besoin. Paris est devenu son QG en même temps qu'une véritable place forte : un mur entoure la petite couronne, infranchissable pour ceux qui ne possèdent pas une habilitation spéciale de notre cher Président. Même une partie des troupes du NGPP se voit refuser l'entrée de la capitale, obligée de loger sur les abords de la ville fortifiée. Eh oui, Paris est encore et toujours réservé à l'élite. Il ne suffit pas d'appartenir aux forces du NGPP pour trouver grâce aux yeux du Président, encore faut-il avoir atteint un certain grade, une certaine réputation ou encore être d'une utilité indispensable au bon fonctionnement de cet écosystème.

Et depuis peu, toute une série de chantiers a vu le jour autour de la grande couronne, afin de construire une réplique miniature de la muraille de Chine. À se demander si le véritable maître du jeu ici n'est pas Wonghonk, qui s'amuse ainsi à placer ses marionnettes sur l'échiquier du monde. Des rumeurs courent qu'il aurait déjà pris le contrôle de l'est de la Chine, d'une partie du Laos et du Cambodge, et que sa domination s'étend progressivement vers l'Inde. Une vraie gangrène que la Rupture a de nouveau libérée.

Une question me taraude de plus en plus ces derniers temps : que viendrait faire Wonghonk en France ? Prendre le contrôle de l'Europe ne serait-il pas plus facile en passant par l'est ? Cela lui éviterait d'avoir à tenir un front supplémentaire, qui plus est, loin des renforts, même si pour l'heure le pont aérien semble sécurisé entre la capitale et la Chine. Veut-il simplement envoyer un message fort aux autres nations survivantes en s'attaquant à l'irréductible France, ou bien aurait-il d'autres intérêts moins évidents à percevoir en venant ici ?

Car ce que tout le monde sait à son sujet, c'est que vieillard ou non, ce type en a dans la caboche et ses manœuvres ont toujours un but précis. Il suffit de voir avec quelle précision il a mené, entre les années 2080 et 2090, toute une série d'OPA hostiles à l'encontre de prestigieuses sociétés pour en prendre le contrôle et se hisser dans le top cinq des plus grandes fortunes de ce monde. Personne ne l'avait vraiment vu venir et pourtant il a réussi à faire partie des « success stories » qui étaient étudiées en cours d'économie. Donc, je me dis qu'il ne dépenserait certainement pas une fortune pour un simple lopin de terre à moitié calciné.

Sourire carnassier aux lèvres, je rêve du jour où tous les salopards du même acabit que Macrélois et Wonghonk seront éradiqués de la surface du globe. Et je souhaite le même sort à ceux, quels qu'ils soient, qui ont déclenché les arsenaux des pays du G50. Nous nous étions crus à l'abri de ce genre de catastrophe, endormis sur nos acquis et aveuglés par nos rêves. Voilà le résultat... Nous oublions que le futur se façonne par nos choix et que, chaque jour, il prend une nouvelle apparence. Nous lui avons donné ce visage et nous payons le prix fort pour toutes nos absurdités.

Horizons #1 - Sombre baladeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant