Chapitre 4 - #3

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Tandis que le ciel se teinte d'une couleur rouge sang, Tim nous conduit vers ce qui devait probablement être le quartier des affaires de cette ville. Gratte-ciels gigantesques, restaurants chics, kiosques à digi-journaux, stationnements réservés aux taxis, quelques bouches de métro, le tout traversé par une ligne de tramway électrique et solaire desservant quelques stations. Nous déambulons parmi les ossatures des voitures carbonisées, marchant sur les détritus éparpillés par le souffle de diverses explosions.

Le groupe se déploie en arc, surveillant avec prudence les vitres éclatées qui surplombent l'avenue. Je reste aux côtés de Tenten, le seul asiatique de la bande. Âgé d'un peu plus de vingt ans, il est petit et possède une musculature noueuse. À plusieurs reprises durant l'après-midi, j'ai tenté d'engager la conversation avec lui, sans succès. Son vocabulaire semble limité à trois mots : son nom, « oui » et « non ». Pourtant, il ne m'a pas lâchée des yeux une seconde, visiblement chargé de me surveiller de près.

Tenten me colle toujours aux basques lorsque Tim nous fait traverser un immeuble de bureaux. Le hall a été épargné par les déflagrations et les combats de rue. Le comptoir de la réception est jonché de colis, de courriers et de dossiers. Une tasse encore pleine d'eau croupie repose en équilibre sur le bord de la surface blanche laquée. De chaque côté du hall, des ascenseurs desservent les différents locaux des organismes qui travaillaient ici : cabinets d'avocats, agences de marketing, bureau d'études financières...

Nous ressortons par l'issue de secours, située à l'opposé. Elle donne sur une petite cour qui se sépare en trois rues piétonnes. Je n'aime pas l'ambiance un peu trop calme des lieux. C'est suspect. Les autres n'ont pas l'air de s'en soucier et prennent la rue d'en face. Ed, qui ferme toujours la marche avec Tidji, me pousse à nouveau dans le dos pour me faire avancer. Soudain, un éclat métallique attire mon regard. Je porte une main à ma cuisse, prête à dégainer, mais l'homme à la crête noire m'en dissuade en me retenant le poignet.

— Mauvaise idée, murmure-t-il.

Son regard est sans appel. Pas tellement rassurée, je me remets en marche, épiant les ombres de la ruelle avec méfiance. Juste avant de bifurquer sur la gauche, je discerne plusieurs masses sombres qui nous observent derrière des fenêtres brisées. Je frissonne. Au fond de l'impasse, une grille est gardée par deux sentinelles. Sur le qui-vive, je ramène à nouveau ma main vers ma cuisse et Ed m'attrape une fois de plus l'avant-bras. Devant nous, Tim s'avance vers les deux hommes qui, armés jusqu'aux dents, nous dévisagent d'un œil mauvais. Ils ne paraissent pas plus surpris que ça de nous voir. Je lève les yeux : des silhouettes se détachent de chaque fenêtre et pointent leur fusil sur nous. Une mesure de sécurité, je suppose.

— Entends-tu le vol noir du corbeau, salue le quinquagénaire en se frappant la poitrine.

— L'ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes, répondent les deux hommes.

— Comment ça va, Greg ?

— Comme d'hab', grogne l'un d'eux. Max ne va pas être content, ajoute-t-il en désignant de la tête le corps sans vie de Samuel. C'est le troisième chez vous en moins d'une semaine, je me trompe ?

— Je sais...

Greg pianote sur un ordinateur de poche. Après plusieurs minutes d'attente, il se redresse et demande à Tim de poser son index sur un petit appareil tactile branché à son ordinateur. L'empreinte digitale est rapidement scannée et identifiée. L'homme vérifie également son empreinte rétinienne avant de passer aux autres membres du groupe.

Quand arrive mon tour, et qu'aucun résultat ne s'affiche sur son écran, son regard s'assombrit et sa main se pose sur la crosse de son arme. Instinctivement, j'adopte la même position. La deuxième sentinelle sort immédiatement son arme et pose le canon sur ma tempe. Putain, pourquoi faut-il que je réagisse à chaque fois au quart de tour ? J'écarte les mains en signe de paix, mais il ne décolle pas son pistolet de mon crâne pour autant.

— Qui c'est celle-là ? aboie Greg en direction de Tim. Je me disais bien que je n'avais jamais vu sa tronche. Elle n'est pas fichée.

— Ouais, alors tu peux...

— Tu peux l'enregistrer, coupe Khenzo en fusillant son aîné du regard. C'est une longue histoire, mais pour faire court : elle nous a donné un coup de main hier et restera avec nous quelques jours.

— Je n'en ai rien à foutre. Elle n'est pas fichée, répète-t-il d'un air buté. Tu connais les règles, Tim.

Khenzo implore son chef du regard. Celui-ci fait non de la tête et croise les bras. J'ai comme l'impression qu'il va falloir que je fasse demi-tour. C'est dommage. Malgré son pseudo ridicule, j'aurais bien voulu rencontrer le Prophète. Il m'aurait peut-être confirmé leur passage dans la région et, par la même occasion, rassurée.

Jeremy et Camélia, malgré son piteux état, plaident en ma faveur à leur tour. Tim finit par soupirer et se tourne vers la première sentinelle.

— OK. Fais une demande à Max de ma part.

Après s'être entretenu un moment avec son PC, Greg revient vers moi. Il me dévisage plus longuement sous son casque de marine rabiboché, puis fait signe à son acolyte de baisser son arme.

— Elle sera sous ta responsabilité en cas de problème. Et elle devra se présenter au patron au plus tard demain dans la journée, sinon..., conclut-il à l'intention de Tim sans terminer sa phrase.

L'intéressé grogne et Jeremy lève un pouce dans ma direction, tout sourire. Les deux gardes me photographient, prennent mes empreintes digitales et rétiniennes, puis m'ajoutent au tabloïd de l'équipe de Tim.

— Bienvenue à la maison les gars, finit par déclarer l'homme au casque rafistolé d'un ton à peine plus amical.

La deuxième sentinelle nous ouvre les grilles et nous nous enfonçons dans les égouts qui plongent sous terre. Il fait un peu plus chaud qu'à l'extérieur, mais l'humidité est presque plus désagréable que l'air glacial. Le chef marche en tête, secondé par Khenzo. Nous les suivons tous de près. Soudain, le conduit étroit s'élargit après un coude, pour rejoindre un autre réseau souterrain, où d'autres personnes circulent.

— Je dois aller faire mon rapport à Max, lance Tim en s'arrêtant, on se retrouve pour manger dans une heure. En attendant, quartier libre pour tout le monde. Quant à toi, Xalyah, ajoute-t-il en se tournant vers moi, va nous chercher à bouffer pour ce soir.

— Je croyais que vous aviez le droit à des rations hebdomadaires.

— Effectivement, sauf que la patrouille du NGPP a détruit pratiquement toutes nos provisions. Alors si tu veux rester avec nous, c'est toi qui paies la bouffe. Tu peux voir ça comme un échange de bons procédés.

— Mais je ne sais...

— Ferme-la et fais ce que je te dis ! Ici c'est moi qui donne les ordres. C'est ça ou rien. À toi de choisir.

Les échanges de bons procédés ont bon dos aujourd'hui... Qu'est-ce qu'il peut me taper sur les nerfs, ce type.

Tim s'engage dans le tunnel de gauche et ses compagnons me dépassent sans me jeter un regard, pour se mêler à d'autres groupes qui semblent également rentrer de mission. Je suppose que les galeries souterraines doivent disposer de nombreuses entrées. Jeremy est le seul à s'arrêter à ma hauteur. Il me fait un grand sourire.

— Faut pas faire attention à lui, il passe son temps à râler. Viens, suis-moi ! me lance-t-il avec un sourire espiègle. Je vais t'accompagner.

Horizons #1 - Sombre baladeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant