III. Le chat et la souris

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Cela fait plusieurs semaines... de longues semaines. Oh oui, de très longues semaines que je côtoie le groupe. A vrai dire, je ne compte même plus les jours. Dans ma tête, il n'y a que le jour J et l'appel du gain. Je crois que je ne pense même pas à ma survie si tout devait mal tourner. C'est étrange mais je ne crois pas avoir quoi que ce soit qui me rattache à mon existence. Je vous accorde que ça fait très réplique de héros de film, mais je le pense vraiment. Fille unique, plus de parents. Pas de petit-ami, ni trop d'amis d'ailleurs. J'ai toujours été une femme solitaire qui se satisfaisait à elle-même. Bien entendu, j'ai fait pas mal de rencontres au cours de ma vie. Des bonnes et des mauvaises. Andrés, vous devinez ?

En parlant de lui, je ne sais toujours pas comment le mentionner, ni le considérer. Est-il un ancien souvenir qui m'a pourri mes rêves ou simplement un complice de casse ? Aucune foutue idée. Rien que de le voir tous les jours empoisonne mon cerveau. Je n'arrive plus à penser et je sens une colère intérieure monter. Si je m'écoutais, j'exploserais de rage devant ses sourires narquois. Mais je ne fais rien, non. Je ne bouge pas d'un pouce pour ne pas envenimer les choses. Je ne voudrais pas que le plan foire à cause de moi. Je ne voudrais pas que des tensions émergent entre braqueurs. Parce que des braqueurs énervés, je n'ai pas à vous expliquer que le conflit provoque des étincelles. On a tellement eu l'habitude de s'envoyer des insultes en pleine face et de manier les flingues, que tout ceci nous paraît banal. Alors les coups de feu fusent aussi vite, vous imaginez...


Mais Andrés, ou Berlin, ou ce grand con... si vous voyiez ce visage impassible qu'il affiche dès que je rentre dans la même pièce que lui. Il relève la tête et me fixe. Il amène souvent son index à sa bouche, qu'il pince sous une méditation perfide. Il me toise comme un prédateur. Parfois, il se racle la gorge en se redressant sur sa chaise. Ou d'autres fois, il penche la tête sur le côté en croisant les bras. Néanmoins, ses yeux ne cessent d'être braqués surmoi. Nous n'avons pas réellement parlé, ou du moins évoqué le passé. Nous faisons comme si on ne se connaissait que depuis quelques mois. Les seules répliques que nous nous envoyons restent en rapport avec la mission. Ou par pure méfiance l'un envers l'autre.Les piques sont violentes et visées. Il a tendance à me provoquer avec un rictus en coin. L'œil charmeur, il pense peut-être que je ne me doute de rien mais je vois tout. Je ne suis pas dupe et je sais qu'il joue. Il me tombera dessus un jour ou l'autre et je l'attends de pied ferme. Les autres par contre n'y voient que du feu. Denver a soufflé sur les braises un soir. En plein repas, il a balancé une soi disant liaison électrique entre nous. Vous vous doutez de ma réaction. Le Professeur a levé les yeux au ciel en maudissant l'attraction avec un grand A. Andrés s'est pavané en laissant planer le mystère, tandis que moi, je soupirais, silencieuse. Je n'avais aucune chance, tout portait à confusion. La tension qui émanait de nos corps se ressentait. Les souvenirs, les doutes, les attentes. L'incertitude de savoir si demain l'on serait encore vivant ou non amplifiait les rixes. Envers Denver, si j'avais eu des couilles, je lui aurais jeté mon assiette à la figure pour monter dans ma chambre comme une gamine. Toutefois, il ne méritait pas un tel châtiment et je m'entendais bien avec lui. Nous nous retrouvions parfois tard pour discuter sur la terrasse en fumant une cigarette. Alors laisser l'ego d'Andrés gonfler était ma meilleure solution. La plus stable. La moins dangereuse.

Souvent, lorsque je fais les cents pas dans ma chambre, le mégo rouge et l'esprit encombré, je songe à cette histoire. Je me prends la tête à imaginer des scénarios improbables parce que cette situation l'est ! Cette situation est improbable. On est enfermé dans un manoir, à nous entraîner avec des flingues sur des cibles. Le Professeur nous enseigne l'art des explosifs et des premiers soins s'il nous arrivait une merde en cours de route.


Je vous l'avais dit que j'étais impulsive. De nature calme et analytique, mais hors de moi et incontrôlable dès que l'on évoque son sujet. Alors, lorsque je m'agite, que je sens mon sang bouillir et mes tempes cogner, je me pose cette foutue question : est-ce que je devrais intervenir ? Certainement. Sûrement. J'ai déjà pensé à en toucher deux mots au Professeur et lui arracher enfin la vérité. Car bien sûr qu'il avait tramé quelque chose. Le jour de nos retrouvailles, j'avais compris à son expression qu'il savait pour lui et moi. Ou du moins, il connaissait le tragique déroulement des événements à Berlin. Ce putain de casse et cette putain de planque me hantent encore ! Mais je ne fais rien, parce que ce n'est pas le moment. Il n'y a pas de place pour les doutes, et ces doutes là peuvent attendre. Je dois me concentrer sur les explications du Professeur. Je dois me concentrer sur la planification du braquage. Une fois à l'intérieur de la banque, il n'y aura plus de retour en arrière possible, et il faudra tout connaître sur le bout des doigts. Après tout, nous formons une équipe, nous devons rester soudés et professionnels jusqu'à la fin.

I. Berlin ciao [TOME 1 - La Casa de Papel | Money Heist]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant