ONE LEGACY T02 : Protension [En Pause]

Chapitre 2| Les Divagations

Robin en avait assez. Il était tombé sur quelque chose de visqueux, de malpropre, de la vase sans aucun doute. Décidément, le destin a un sens de l'humour un peu trop acerbe ces temps-ci. D'abord il avait perdu Arthur dans le tunnel, non en fait il ne l'avait pas perdu, son compagnon était juste en train de tomber lui-aussi dans un autre boyau sans-fond, c'est du moins ce qu'espérait Robin. Ensuite il avait été brutalement arraché à un espace-temps pour ensuite rentrer dans un autre. Robin se demandait vraiment s'il avait atterri au bon endroit. Certes le portail s'était rematérialisé au dessus d'un étang et l'eau avait quelque peu amorti sa chute, mais après s'en être extirpé, et surtout après réflexion, l'étang de ressemblait en rien à la description que Robin gardait en souvenir. Il y avait bien les deux rochers face à face de part et d'autre de l'étang, mais celui-ci était nettement plus petit, moins limpide et transparent... avec des roseaux et des nénuphars disposés équitablement sur les contours. On aurait presque dit du artificiel.

Robin enleva ses vêtements pour les essorer puis se rhabilla immédiatement. Il avait du chemin à faire jusqu'à chez lui, ses frères et ses parents l'attendaient depuis longtemps, il n'aurait pas été raisonnable de les faire attendre davantage. De plus, il ne savait pas si une semaine passée dans un monde parallèle équivalait aussi à une semaine passée dans ce qu'il appelait "le monde réel", ou bien que tout le monde ici le croyait disparu depuis des mois, voire même des années. Robin l'avait déjà lu dans un ouvrage de la bibliothèque de l'école, on appelle cela les conséquences du paradoxe temporel. Et si en son absence on lui avait dressé des funérailles ? Ou pire, qu'un membre de sa famille soit mort ? Robin préférait ne pas trop y penser. Il était de retour, avec un tas d'anecdotes et d'histoires à raconter, et c'est tout ce qui comptait à présent.

Mais qu'était-il arrivé à Arthur de son côté ? Avait-il lui aussi été arraché au trou de ver pour atterrir dans la forêt ? Ou était-il arrivé bien avant lui et il se jetait en ce moment-même, non sans émotion, dans les bras de sa mère qu'il détestait tant ? Bon, il connaissait globalement le chemin de la maison, de plus que cette forêt ne lui était plus inconnu, pour ainsi dire. Il regarda un instant au dessus de l'étang, mais naturellement l'ouverture avait disparu juste après l'avoir éjecté du trou de ver. Il n'avait plus rien à faire ici, c'est pourquoi il partit dans la direction d'Ardengost.

Le ciel était bleu, d'un bleu clair, uniforme, et dépourvu de nuages. Les oiseaux chantaient sur son passage, il avait parfois l'impression que la nature entière s'écartait pour le laisser passer et que les arbres murmuraient discrètement dans son sillon. Le vent qui circulait entre les taillis était doux, suffisamment tempéré pour que Robin apprécie cette senteur raffinée, l'odeur de l'écorce et de la mousse, l'effluve de la forêt. C'est comme si toute la nature... respirait paisiblement.

Robin marchait d'un pas rapide, pressé de rentrer chez lui, quand soudain un symbole sur un arbre retint sur attention. Il s'approcha de l'écorce pour bien examiner le logo. C'était un signe en demi-lune mais retourné horizontalement, formant un espèce de sourire. Trois petites gouttes semblaient se déverser de ce croissant et coulaient vers le bas, le tout était dessiné grâce à ce qui semblait être du feutre rouge, du moins Robin espérait que ce ne soit pas du sang. Qui pouvait bien peindre un symbole pareil sur un arbre et que représentait-il ? Puis d'un coup il se souvint avoir déjà vu ce motif dans Ataria, précisément sur le journal d'Arya. Mais alors que faisait ce symbole dans le monde réel ? Bizarre autant qu'étrange, Robin eut soudain le pressentiment que quelque chose s'était passé ici en son absence. Quelque chose de terrible. Mais pendant qu'il marchait en s'imaginant tous les scénarios possibles et imaginables de ce qui avait pu arriver à ses parents, il ne se rendit pas compte que deux individus l'observaient.

Une flèche fendit l'air et vint se planter dans un arbre à cinquante centimètres seulement de la tête de Robin, ce qui, vous vous en doutiez, fit sortir celui-ci de ses élucubrations. Il regarda avec stupéfaction la flèche qui avait failli l'atteindre au visage, et, persuadé qu'on avait attenté à sa vie, courut à toutes jambes dans la direction opposée. Il n'avait pas encore fait dix pas que son pied se prit dans une racine et il tomba mollement à terre, désemparé. Alors les inconnus qui avaient attenté à sa vie sortirent d'un bosquet et se montrèrent à Robin. Le garçon leva les yeux et les considéra de la même manière qu'il avait considéré le motif sur l'arbre, comme une chose qui ne devrait pas être là.