CHAPITRE 6 - SARAH

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Je souris comme chaque fois que je dois aller plaider. Certains tremblent, d'autres toussotent, moi, j'exulte. J'adore me livrer au combat, aller chercher l'adversaire et le terrasser, qu'il soit un prévenu lorsque je défends une victime comme aujourd'hui ou le procureur de la République quand je suis l'avocat du diable, en l'occurrence la personne poursuivie en justice. Dans mon habit de lumière, tel un matador, je me relève derrière le pupitre des avocats. Ce soir, il y aura une mise à mort mais cela ne sera pas celle de ma cliente mais celle de son bourreau ou de son conseil. Je réajuste mon épitoge, tire sur ma bavette et ouvre mon dossier. Un regard droit devant moi vers le magistrat qui me scrute attentivement. Un coup d'œil vers le procureur de la république qui sera cette fois-ci mon allié.

— Merci Mme la Présidente, Monsieur le Procureur ! Comme vient de nous le rappeler à plusieurs reprises Maître Gauthier, le conseil du prévenu, ma cliente est une travailleuse du sexe mais elle n'en est pas moins et surtout la victime de cet homme, dis-je en le désignant du doigt. Ne nous trompons pas de méchant aujourd'hui ! Le seul délinquant présent dans cette affaire est cet homme derrière vous mon cher confrère et non celle qui loue son corps par nécessité. Oui, j'entends les chuchotements dans la salle (je me retourne vers le public). C'est une pute alors ce n'est pas grave ! (quelques personnes baissent les yeux gênés devant mes mots crus). Mais bien sûr que ça l'est ! m'écrié-je en levant le ton. Une pute, comme vous aimez le dire tout bas, n'en est pas moins une femme et une femme déjà torturée comme personne ne souhaiterait l'être ici ...

J'entame ma plaidoirie. Je parle fort en prenant soin d'articuler et d'appuyer mes intonations sur les mots chocs. J'accuse l'homme dans le box mais aussi l'assistance présente dans la salle. Je pilonne sans retenue le lâche qui me fait face derrière les vitres par balle. Je démonte un à un les arguments soulevés par mon adversaire. Je relève tous les points à charge de son client dans les procès-verbaux, je fais le récit médical des plaies et blessures de ma cliente. À mesure que je parle, que j'attaque, je la regarde, elle si abîmée par la vie, se redresser, déployer ses épaules pour redevenir une femme, celle qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être.

J'insiste sur les antécédents de violences conjugales de l'accusé, l'audition de sa femme qui ne l'épargne pas. Il aime cogner les femmes, c'est une réalité. Une brute sans foi ni loi qu'il faut empêcher de nuire.

Le juge lève les yeux de son dossier et m'écoute avec de plus en plus d'intérêt. Son regard se met à briller. Je la vois basculer de mon côté. Je donne le coup de grâce en décrivant l'existence difficile de Rosita. J'appuie là où ça fait mal en utilisant tous les artifices à mon service. J'énonce les coups durs de sa vie, son mari aveugle, ses enfants encore jeunes, son travail de femme de ménage cruellement mal rémunéré. J'édulcore un peu plus la vérité pour faire pleurer dans les chaumières. Je me tourne alors vers l'adversaire et lorsque je vois le jeune avocat se laisser glisser sur son siège, je sais que j'ai gagné. J'intime au tribunal d'enfermer le coupable et de le condamner lourdement à dédommager ma cliente.

Quinze minutes de plaidoiries, précises et chirurgicales. Le public retient son souffle pendant que le juge plonge le nez dans son dossier avant de décider une lourde peine de 13 mois d'emprisonnement. Grâce à son état de récidive, il repart directement en prison sous le regard soulagé de ma cliente. Le cliquetis des menottes qui se referment sur ses poignets est le chant de ma victoire.

Je rassemble mes affaires et Gabriel, me tape sur l'épaule, pour me féliciter. Je le vois pianoter un SMS sur son téléphone et je sais qu'il rend compte à Bruno de nos résultats du jour. La « fine équipe » comme le boss nous appelle depuis qu'il nous a recrutés à quelques mois d'intervalles.

— Allez viens, on va fêter cette plaidoirie d'anthologie, Madame la féministe ! me lance-t-il en agrippant mon épaule.

Après un dîner en compagnie de Gabriel, je rentre chez moi, éreintée mais avec le sentiment du travail accompli. Dans le vestibule de mon petit appartement, je détache mes baskets et soupire de plaisir lorsque je marche en chaussettes vers mon salon. C'est bon d'être rentrée à la maison. Ce soir, pour une fois, je ne suis pas retournée au cabinet pour travailler jusqu'à une heure avancée de la nuit. J'avais besoin de me changer les idées, de décompresser après l'altercation avec ma sœur. Gabriel s'est montré un ami précieux et une épaule sur laquelle poser ma joue lorsque cela ne va pas comme aujourd'hui. Je sais que je peux compter sur lui.

Je file directement vers ma chambre en me déshabillant. Une bonne douche bien chaude et je fonce au lit. Rien de tel qu'une bonne nuit de sommeil réparateur pour tout oublier et entamer une nouvelle journée qui sera tout aussi chargée.

J'allume la lumière et je découvre un colis sur mon lit ainsi qu'une robe noire étalée bien à plat. Un petit mot griffonné attire mon attention et je reconnais aussitôt l'écriture de Maxine.

Pardon encore pour aujourd'hui ! Mets cette robe pour aller bosser et lâche tes satanées baskets !

Je ricane en relisant plusieurs fois le petit bout de papier. J'attrape l'étoffe et la mets devant moi pour regarder mon reflet dans le miroir sur pied. Je grimace en remarquant la longueur désespérément courte du vêtement. Je ne me sens pas prête à mettre cela au boulot surtout lorsque je dois aller assister des types louches en garde à vue dans les commissariats. Mes Converse ont encore de belles journées de vie devant elles. J'ouvre ma penderie et y suspends la robe confectionnée par Maxine. Je détaille son travail minutieux et je souris, si fière de ce que peut faire ma petite sœur avec ses petites mains.

Je retourne ensuite vers mon lit et m'assois à côté du paquet. Un colis tout droit arrivé de Normandie, de ma mère. J'ouvre le carton et y déniche toute sorte de petites culottes et soutien-gorge en dentelle. Des blancs, des noirs, des rouges et même un ensemble violet. Une petite carte au milieu :

LA PANOPLIE INDISPENSABLE POUR RENDRE UN HOMME HEUREUX ! CROIS-MOI MA FILLE, TU ME REMERCIERAS !

MAMAN

Je rejette la carte sur le côté et déplie la lingerie. Je soupire d'exaspération aux mots de ma mère. À croire que toute son existence n'est réduite qu'à la séduction des hommes. « Maman soutif » a encore sévi !Sait-elle au moins que je serais bien plus heureuse si elle me passait juste un petit coup de fil pour demander de mes nouvelles sans me rabâcher à longueur de temps que je passe à côté de ma jeunesse à trop travailler.

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