CHAPITRE 5 - SARAH

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Gabriel et moi tournons la tête vers mon coup d'un soir. Ce dernier nous jette un regard mauvais avant de se remettre à sourire et à draguer une jeune avocate à ses côtés.

— J'espère qu'il ne t'avait pas refilé de la drogue des violeurs au moins ! Sinon je lui défonce le crâne avec tes louboutins ! menace Gabriel en lui adressant un regard glacial.

— Non, je suis l'unique responsable de ce désastre. Je me suis infligée ça toute seule en descendant un pichet entier de mojito !

— Pourquoi t'avais bu comme ça ?

— Ma mère qui m'avait fait suer à Noël et mon mec qui m'avait laissé tomber la veille pour une nana soit disant plus cool que moi ! Fallait que je me cuite ! Mais du coup, je me suis réveillée dans un autre lit que le mien !

Je regarde de nouveau l'objet de toute mon affliction. Une nouvelle vision de mon réveil ce matin-là. Son sourire triomphal. Trois ans qu'il essayait de me mettre dans son lit et que je le repoussais à grandes doses de râteaux mais ce soir-là, j'ai flanché. Je le hais depuis notre première rencontre à la fac car il représente tout ce que je déteste, la richesse, l'ambition assumée, la haine de la populace. Un vrai bourge antipathique et suffisant qui n'a aucun respect pour les femmes.

— Je suis désolée de te décevoir...

— D'avoir couché avec ce crétin ? me coupe-t-il. On commet tous des erreurs, moi le premier !

— Non pas ça ! Je n'ai pas de louboutins ! C'est plutôt le genre de Véra, pas le mien, dis-je en lui montrant mes converses qui dépassent de ma robe d'audience.

Gabriel se met à ricaner et là mon esprit se réveille enfin de sa profonde léthargie.

— Oh mais il faut que je te raconte ce que j'ai vu à midi !

Je sais que cancaner, c'est vraiment moche mais c'est si bon... Surtout quand on est coincé jusqu'à la nuit noire dans une salle d'audience surchauffée, aux odeurs nauséabondes de poivrots et de vieux joints de cannabis.

— Quoi ?

— Véra...

— Qu'as-tu encore à reprocher à cette pauvre Véra ?

— Rien c'est juste que...

— Entre filles, vous êtes vraiment des pestes !

— Oh, c'est chiant de ne pas avoir une autre collaboratrice fille dans ce cabinet ! Je me sens seule avec vous tous ! J'ai besoin d'une nana pour me comprendre et faire la langue de vipère avec moi !

— Bon allez crache ton venin mamba noir !

— Non tant pis ! Je trouverai bien une autre oreille pour lâcher ma bombe !

— Allez ma chérie, dis-moi tout ! Je suis toute excitée d'avance ! s'amuse Gabriel en prenant une voix de fille.

— J'ai vu Véra sortir d'un hôtel de luxe ce midi !

— QUOI ??? s'écrie Gabriel si bruyamment que le juge relève le nez de son dossier et que l'avocat qui plaide s'arrête pour se retourner vers nous.

Gabriel fait un geste de la main pour s'excuser et revient se coller tout contre moi pour me chuchoter dans le creux de l'oreille.

— Que faisait-elle ?

— Je n'en sais rien mais elle sortait de l'hôtel ! Elle s'était fait une beauté avant de quitter le cabinet. Je suis sûre qu'elle y a rejoint un amant !

— Rien d'exceptionnel, elle est célibataire ! Elle vit seule avec son fils étudiant.

— Oui mais un amant friqué et certainement marié sinon il la verrait le soir !

Gabriel se met à sourire en regardant le plafond de la salle d'audience.

— Tu crois que ça pourrait être un des associés du cabinet ? demande-t-il moqueur.

— C'est effectivement envisageable ! réponds-je en gloussant.

— Purée, faut mener l'enquête Sherlock !

— Élémentaire mon cher Watson !

— J'aime bien cancaner finalement ! me lance-t-il avec la banane.

— C'est ton côté jumeau d'une fille qui ressort ! gloussé-je

— Ouais, c'est vrai que j'ai partagé le même ventre avec une pisseuse comme toi !

Trois heures s'écoulent avant que Gabriel ne plaide pour un pauvre bougre poursuivi pour conduite en état alcoolique, un malheureux qui avait eu la malchance d'être contrôlé par la police le seul jour où il avait bu pour fêter les quatre-vingt ans de sa mère. Sauf que son casier judiciaire montrait qu'il avait déjà été condamné pour la même chose. A cela, il répond sans complexe à la Présidente qu'il avait été pris alors qu'il fêtait les 75 ans de sa mère. Gabriel a tant bien que mal réussi à lui éviter la prison, néanmoins sous mes ricanements moqueurs.

— Putain, quel idiot celui-là ! me dit-il en revenant s'asseoir près de moi.

— Il reviendra pour les quatre-vingt cinq ans de sa mère ! me moqué-je.

— Rigole mais tu ne seras pas mieux quand ta cliente va expliquer que le type l'a cognée parce qu'elle ne l'avait pas assez bien sucé !

Je reste là devant mon collègue à me demander si je dois le gifler ou lui tordre le cou. Pourtant, il a raison, il faut que je m'attende à un grand déballage où je ne serai pas bien à l'aise.

— Pute ou pas pute, il n'avait pas le droit de la battre ! m'agacé-je.

— Oui mais tu verras, il sera moins condamné car frapper une pute, ça coûte moins cher que frapper une bonne mère de famille !

— C'est ce que l'on verra !

— Oh non tu ne vas pas nous faire une plaidoirie féministe ! se moque-t-il en cachant ses yeux derrière ses mains. Ça va durer trois plombes et j'ai envie d'aller bouffer !

J'entends alors la juge appeler mon dossier. Le prévenu, un grand type tout maigre, au visage blafard, arrive dans le box, entravé, escorté par deux policiers. Alors que le cliquetis de l'ouverture des menottes résonne dans la salle, mon coup d'un soir se lève et s'annonce comme le conseil du malotru. Je plisse les yeux, mécontente, avant de tourner la tête vers mon collègue qui se marre.

— Oh le gars, il a tout faux en le prenant lui pour sa défense ! Tu vas être deux fois plus impitoyable ! Évite quand même un discours à la Simone Veil ! J'aimerais bien aller dîner !

Je me lève et dépasse mon très cher confrère adverse qui me souffle :

— Je vais obtenir la relaxe ! Ta pute ne gagnera rien !

Je me renfrogne et marche volontairement sur l'une de ses pompes à au moins mille euros la paire.

— Salope ! siffle-t-il tout bas.

— Regarde une pro mon pote, prends des notes ! lui réponds-je avec mon sourire de garce.

La Présidente expose les faits et je sens mes nerfs à fleur de peau lorsqu'elle insiste longuement sur le deuxième emploi de ma cliente. Les questions du crétin sont pertinentes et je réalise que ma cliente, pourtant victime, se voit juger par toute l'assistance. Il finirait presque par comparer son client à un acheteur mécontent qui aurait été abusé sur la qualité de la marchandise. Recroquevillée sur sa chaise, elle baisse les yeux sur ses mains et reste là inerte, pliée sous le poids du déshonneur. Moi aussi, j'ai du mal à concevoir que l'on puisse se prostituer. Je préfèrerais mille fois bosser jour et nuit pour gagner de l'argent plutôt que me vendre à un homme. Pourtant quand j'observe cette femme, les épaules courbées, il m'est impossible de voir autre chose qu'une femme comme les autres, brisée certes par la vie et ses épreuves mais surtout victime d'un lâche.

Je me lève à la demande du magistrat qui m'invite alors à plaider. Aux côtés de ma cliente, mes doutes s'estompent et je n'ai plus qu'une envie, la défendre encore plus fort.

COUPABLE I love youWhere stories live. Discover now