Chapitre 2 - #3

Depuis le début
                                    

— Tu prends les cinq de gauche et moi les cinq de droite, murmure-t-il. Compris ?!

J'acquiesce d'un signe de tête.

— Vous, là ! crie l'un des soldats qui nous a enfin repérés. Montrez vos mains !

Les autres braquent leurs lampes torches dans notre direction et nous mettent en joue, avançant avec prudence. Si nous ne voulons pas bientôt ressembler à deux passoires, il va falloir rapidement passer à l'action, et sans droit à l'erreur.

— À combien de mètres sont-ils ? demande à nouveau mon allié temporaire, qui tourne toujours le dos à la patrouille.

Je me décale sur le côté et aperçois les dix soldats armés jusqu'aux dents qui se rapprochent de plus en plus. Ils portent tous un équipement à l'épreuve des balles ainsi qu'un casque.

Celui qui nous a déjà interpellés réitère sa question :

— Je ne le répéterai pas une troisième fois ! ajoute-t-il d'une voix puissante et menaçante.

— Ils sont à trente mètres environ. Il va falloir leur tirer dans le cou ou le visage, si on veut les tuer. Nos balles ne passeront pas leur casque ni leur plastron.

— Bien. Tu es bonne tireuse ?

— Je me débrouille.

— Alors... maintenant !

Pour me mettre à couvert, je me jette sur la gauche tout en dégainant mon Wallgon-X. Une fois au sol, j'empoigne mon arme à deux mains et tire sur les cinq hommes à gauche qui répliquent sans prendre le temps de viser. Presque toutes mes balles font mouche. Et avant même de comprendre ce qui leur arrive, trois des cinq hommes se retrouvent à terre. Headshot, comme on dit. Papa, tu serais fier de moi, pensé-je amèrement. Les deux restants finissent par s'accroupir pour recharger leurs armes et, dans la confusion du combat, se relèvent immédiatement pour tirer à l'aveugle. Malheureux... Mes deux dernières balles les achèvent sans pitié.

De son côté, mon compagnon de fortune a plus de mal à abattre ses cibles. Deux hommes gisent au sol ; l'un d'eux semble inerte et l'autre se contorsionne en hurlant. Les trois derniers se sont réfugiés derrière une carcasse déglinguée de voiture et tirent au jugé par-dessus. Trop occupés à s'acharner sur mon acolyte, ils m'ont carrément oubliée. Je crois bien qu'on a affaire à des bleus. Une chance pour nous.

Je rampe jusqu'à mon sac pour sortir un chargeur et remplacer celui qui est vide. C'est la merde, il ne me reste vraiment plus beaucoup de munitions. Je repars en sens inverse et me faufile entre deux tas de gravats avant de m'accroupir. Ils ne m'ont toujours pas vue. Rapidement, je cours me planquer derrière un panneau publicitaire pour les contourner. Là, je reprends mon souffle afin de me calmer. Mes deux mains tremblent sur mon arme et j'ai les jambes en coton.

Courage, ma fille. Dis-toi que tu ne le fais pas par plaisir, mais par nécessité. Si seulement ça suffisait à apaiser ma conscience.

Une bourrasque de vent fait rouler un sac poubelle éventré vers moi. L'odeur du cadavre d'un rat en décomposition qui dépasse des ordures me prend aux tripes. C'est immonde.

Je remonte mon foulard sur mon nez, avant de m'agenouiller pour jeter un œil sur le côté. Les trois hommes continuent de vider leur chargeur sur le mur d'en face. Vachement utile, pensé-je, sarcastique pour reprendre un peu de distance avec la situation. Et il n'y en a même pas un pour couvrir leur position ! Quant au quatrième, il a fini par se taire. Mort ou inconscient, en tout cas il n'est plus un problème pour le moment.

Peu à peu, les tirs s'espacent et finissent pas s'arrêter.

— Putain les mecs, qu'est-ce qu'on va faire !? murmure l'un des soldats, totalement paniqué. Ils les ont tous butés...

Planquée à quelques mètres d'eux, je devine la peur qui les tétanise à travers les vibrations de leurs voix. Dépassés par une situation qu'ils ne maîtrisent pas, ils sont incapables d'établir une stratégie logique.

— Putain..., répète le même homme. Ils ont tué Gabi et Thierry et... et...

— Ferme-la Jérôme, le coupe un autre. On va s'en sortir. Alors ferme-la, OK ?!

J'ai un pincement au cœur en les entendant se soutenir les uns les autres, avant de me reprendre. Ce n'est pas le moment d'éprouver de l'empathie pour des tueurs sanguinaires en puissance. Si aujourd'hui ils en sont réduits au statut de proies paniquées, demain, ils appuieront sans hésiter sur la gâchette pour décimer un groupe de civils rebelles. C'est le dernier argument que me lancerait mon père à coup sûr. Et il aurait raison. Un soldat du NGPP ne deviendra jamais un bon samaritain, à moins de quitter les rangs. Ce qui n'est jamais arrivé. Les déserteurs ne vivent pas bien longtemps. Quand on s'engage auprès du New Generation Political Party, surtout dans leurs forces armées, c'est à vie.

Horizons #1 - Sombre baladeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant