Chapitre 37

Depuis le début
                                    


— Tu habites dans les quartiers Nord ? demandai-je calmement.

Rhéa tira une chaise autour de la table et se laissa tomber lourdement.

— Je compte bien me tirer d'ici dès demain. Il n'y a rien de bon là-bas. Tu devrais t'en tenir loin, me recommanda-t-elle.

— Un groupe venant de là-bas s'en est pris aux miens en enlevant mes cousins. Je ne compte pas m'en tenir loin, bien au contraire.

Passant un bras par-dessus le dossier de sa chaise, l'adolescente me détailla de haut en bas.

— Tu te feras descendre à la minute où tu poseras le pied sur leur territoire, déclara-t-elle sans la moindre émotion.

— Je ne vais pas abandonner ma famille. Ils ont aussi enlevé deux amies et deux fillettes, ajoutai-je en serrant les dents pour contenir ma colère.

Rhéa pinça les lèvres.

— Écoutes, Clem. Je sais de quoi je parle, crois moi. Tu ne peux pas les sauver. Tu ne peux plus rien pour eux. Cette ville est pourrie jusqu'à la moelle. Et je ne parle pas des créatures qui rôdent dans les rues. Non, cette ville était déjà perdue avant tout ça. Les trafics, la drogue, les armes... Je suis sûre qu'une petite blanche dans ton genre n'a toujours vu ça qu'à la télé, pas vrai ? Moi, je l'ai vécu toute ma vie ! ragea-t-elle en se désignant du doigt. Alors entends-moi bien, quand je te dis que cette attaque chimique n'a rien arrêté du tout. Bien au contraire. Il n'y a plus personne pour les arrêter. C'est leur ville désormais. Soit tu obéis, soit tu paies ! C'est comme ça qu'ils marchent.

— C'est pour ça que tu cherches à fuir ?

— Cette vie-la, je ne l'ai pas choisi. Moi aussi, j'aurais bien voulu grandir dans un quartier de bourge, certainement comme le tiens, avoir des parents médecins et ingénieurs, mais non. Moi, je n'ai eu que la cité, un père absent et une mère camée. Alors oui, je cherche à fuir. Parce que pour la première fois de ma vie, je ne suis pas forcée de rester là où j'ai grandi. Parce que ce nouveau monde, là dehors, m'effraie moins que tout ce qu'il y a derrière moi.


Ses yeux brûlaient de rage. Cette fille avait à peine quinze ans, mais elle était déjà pleine de colère et de haine. On aurait un animal sauvage qu'on aurait gardé trop longtemps dans une cage et qui venait juste de forcer la serrure. Je n'aurais jamais pu penser que ce nouveau monde apocalyptique pouvait être préférable à n'importe quelle vie passée. Il aurait fallu que cette vie soit bien terrible pour qu'on en vienne à remercier ce cauchemar, comme une délivrance.


— Tu es partie quand ? Est-ce que tu as vu un groupe ramener une fille et deux enfants ? Une petite fille et un garçon. Ils ont sept et six ans, ajoutai-je en essayant de lire dans son regard si elle savait quelque chose.

— Je suis partie en fin de matinée. Je n'ai pas vu tes cousins. Mais ce ne sont pas les seuls qu'ils ont pris, rajouta-t-elle avant de se lever.

— Comment ça ? m'empressai-je de demander en lui attrapant le bras.

L'adolescente regarda ma main avant de me lancer un regard menaçant. Je la lâchai, ne voulant pas qu'elle se braque.

— Si tu sais quelque chose qui puisse m'aider à les trouver, je t'en supplie, dis le moi, implorai-je en sentant les larmes monter.

Rhéa soupira.

— Tu ne m'as pas l'air mauvaise, sincèrement. Mais je ne peux rien pour toi. Suis mon conseil, et quitte la ville le plus tôt possible. Et emmène ces gens avec toi. Quiconque traînerait dans les parages est susceptible de se faire prendre.

Livre interactif  - CLEM   {TERMINÉE}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant