Chapitre 7 - Marie (partie 3)

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- Tiens Élias, dit-elle.

Dans un sursaut d'existence, la mère prit le livre des mains de son fils.

- C'est quoi ça ? encore des contes de fées ?

- Mais... maman... tenta Élias.

Elle retournait le livre dans tous les sens. Puis l'air écœuré, elle se pinça l'arête du nez en hochant la tête. Elle soupira. Hautaine, elle prononça distinctement ces mots qu'elle sélectionna avec précision :

- Nous ne sommes pas... adeptes de ce genre d'inepties. Élias a toute la lecture, de qualité celle-ci, qu'il désire à la maison. Ceci...

Elle montra le livre.

- ... ne correspond pas à l'éducation que nous dispensons à notre enfant. Truffez-lui la tête avec ces sornettes et il deviendra un bon à rien, ou pire, un artiste !

Elle jeta l'ouvrage au visage de Marie qui n'eut pas le temps de le rattraper.

- Non, maman ! Arrête !

L'enfant, en pleurs, essaya de rattraper le livre qui vola, avant de s'écraser sur le sol dans un bruissement de feuilles chiffonnées. De sa gueule béante et affamée, le roman semblait vouloir avaler goulument le carrelage alléchant. L'ingérer puis l'intégrer à son monde. Marie, quant à elle se tenait le visage ; le volume avait heurté sa joue au passage. Une marque rouge paraissait au coin de son œil. Le cœur serré, les yeux humides, elle laissa la famille repartir. Bien qu'ils eussent été durs avec Élias, ils ne l'avaient pas violenté, son rôle s'arrêtait là. Après tout, les valeurs personnelles qu'ils choisissaient de transmettre à leur fils ne la concernaient pas.

Happés par la bulle de la colère, le corps frémissant de hargne, aucun d'entre eux ne remarqua que la terre tremblait de nouveau. Seule Marie se retint au chambranle de sa porte en attendant que la légère secousse se calmât. Elle regarda la voiture de la famille se fondre dans le paysage, au loin. Lasse, elle referma la porte, ramassa le livre abimé et le reposa sur la table basse du salon. Ellana ne méritait pas toute cette rage.

***

Combler le vide...

Marie alluma sa radio et soupira, son unique compagnon depuis des mois. Des voix pour combler un manque affectif, des voix pour assouvir sa soif d'informations. Elle en apprendrait sûrement davantage sur la pluie qui inondait quelques rues de Paris. Comme sa fille logeait sur les hauteurs du XVIIIe, elle ne s'inquiétait pas encore pour elle. Mais son cœur se nouait à chaque fois qu'elle pensait à sa fille. Depuis quand ne l'avait-elle pas vue ?

- ..., flash infos.

Marie fronça les sourcils, à l'écoute. Ils allaient peut-être évoquer les tremblements de terre.

- Des attaques simultanées se sont déroulées sur le territoire aux alentours de 19 h.  Les terroristes ont détruit plusieurs centrales nucléaires à travers le pays. Nous ne connaissons pas encore l'étendue des dégâts, ni le nombre de victimes. Pour le moment, ces actions n'ont pas été revendiquées. Des cellules d'urgence sont en train d'être mises en place dans chaque département et près des lieux ciblés. Des perturbations électriques sont en cours dans les régions Hauts de France, Lorraine et Centre. Le Président de la République prendra la parole au cours de la soirée pour...

La poitrine de Marie se serra.

Sybil...

Marie n'avait plus qu'une seule idée en tête : demander à sa fille de rentrer, l'avoir près d'elle et ne plus jamais la laisser quitter sa maison. Elle saisit son téléphone et écrivit un rapide message lui demandant de rentrer au plus vite. A peine avait-elle appuyer sur le mot "envoyer" qu'elle regretta sa précipitation. Sybil était adulte, vivait aujourd'hui sa propre vie, épanouie, en toute indépendance. Ce message était l'appel d'une mère en détresse.

Torturée par le silence de sa fille, l'institutrice faisait les cent pas dans sa cuisine. S'il y avait une vague d'attentats qui s'abattait sur le pays, alors Paris serait rapidement prise pour cible. Qui pouvait l'aider ? Comment contacter Sybil ? Qui pouvait ramener sa fille à la maison ?

Gabriel...

Elle composa son numéro. La sonnerie retentit deux fois, deux fois seulement...Renvoi vers le répondeur. Gabriel ne devait être disponible. Encore... Le message que Marie lui laissa appartenait davantage au domaine du bégaiement incompréhensible plutôt qu'à un verbe concis et précis. Quand elle raccrocha, troublée, elle se demanda si son message était intelligible et, prise de doute et d'une effroyable sensation prémonitoire qui s'empara complètement d'elle, Marie rappela Gabriel une seconde fois. Le répondeur l'accueillit directement. Un frisson parcourut son corps lorsqu'elle entendit la voix grave de Gabriel, elle savait, elle sentait, que quelque chose se tramait. Elle savait qu'elle ne reverrait pas son ami avant un long moment. Pourtant, elle lui expliqua ô combien elle s'inquiétait pour sa fille et pour lui.

Alors que, perplexe, elle reposait le téléphone sur son réfrigérateur, la terre se remit à trembler. Marie s'effondra en larmes.

L'Enfant-Double - Tome 1 - Des retrouvaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant