Chapitre 7 - Marie (partie 3)

24 11 12
                                    

Le temps passait et les parents d'Élias ne donnaient toujours pas signe de vie. Marie, inquiète, choisit de les contacter à nouveau, mais sans réponse de leur part, elle ne pouvait rien faire d'autre pour le moment. Elle ne s'en plaignait pas vraiment. Élias était un enfant calme et sa lecture le passionnait. Il dévorait les pages. Sa discrétion lui jouerait des tours un jour, ses camarades ne le comprendraient pas toujours, mais il se trouverait des amis, des alliés fidèles. Marie en était convaincue.

Un bruit de moteur ronronna, des portières grincèrent et claquèrent. Deux voix ne s'écoutaient pas et s'entremêlaient dans la rancœur, l'agressivité. Qui avait oublié l'enfant ? Qui devait aller le chercher à l'école ? Qui subirait la souffrance de l'abandon ?

La sonnette de la porte d'entrée retentit. Marie ouvrit la porte à un homme et une femme guindés, l'air sévère. Leurs traits étaient tirés par la fatigue et les rictus de la colère déformaient leur visage. Marie hésitait à prévenir Élias de l'arrivée de ses parents. Ces quelques minutes de doute suffirent à déchaîner l'explosion d'une succession de blâmes insensés et acerbes destinés à intimider la directrice. Des reproches de plus en plus saugrenus s'envolèrent pour heurter, blesser... asseoir leur autorité. Marie les reçut sans ciller ; elle avait appris à ne plus écouter la colère, et encore moins quand elle provenait de parents d'élèves si savants sur la façon dont elle devait exercer son métier. La clenche de la porte dans la main, le corps au milieu du passage, Marie faisait front et bloquait l'accès de son sanctuaire aux inopportuns. Elle saurait attendre patiemment que les deux fussent calmés, elle saurait recevoir la vague sans chanceler, elle saurait...

Une voix timide, comme sortie d'un fabuleux songe empli de mystères, flotta jusqu'à la porte. De son timbre léger et éraillé, elle semblait venir d'un Autre-Monde.

- Maman...

Seule Marie intercepta ce mot, cher à son cœur. Elle se retourna. L'enfant approchait. Il avait abandonné le livre ouvert sur la table basse, juste à côté de son goûter.

- Maman, pourquoi vous criez ?

Il reniflait. Ses yeux replis de larmes avaient rougi. Le père de l'enfant prit le mouvement de recul de la directrice comme une invitation à entrer. D'un coup d'épaule, il la poussa hors de son chemin et rejoignit son fils.

- Élias, viens ici immédiatement.

Le ton était ferme et sans appel. Élias s'avança. Son père le saisit alors fermement par le poignet et l'entraîna à sa suite.

- Aïe ! Papa, tu me fais mal !

Marie allait intervenir lorsque l'homme, l'air supérieur, se retourna vers l'institutrice. Son corps immense la dominait totalement. Effrayée, elle recula d'un pas.

- Et vous, ne vous avisez plus de foutre votre nez dans nos affaires !

Son sermon mal avisé s'échappait d'un doigt pointu qu'il agitait, de façon dédaigneuse, devant les yeux de Marie. Elle le suivait du regard, comme hypnotisée.

- Non, mais on aura tout vu... Emmener un enfant à son domicile personnel... Ah ça, le rectorat va m'entendre !

Prise au dépourvu, Marie ne sut quoi répondre. Elle restait là, abasourdie, subissant la situation sans la vivre.

- Papa... Attends, je n'ai pas fini le livre...

La plainte de l'enfant sortit l'institutrice claustrée par le brouillard de la violence. Elle lâcha la poignée de sa porte d'entrée pour aller chercher le roman qu'Élias lisait jusqu'à l'arrivée de ses parents.

- Attendez, je lui prête le livre.

Le père continua de tancer la directrice qui ne l'écoutait toujours pas, elle s'était déjà enfuie, à petits pas précipités, vers le salon. Elle récupéra l'ouvrage et revint aussitôt, alors que le père du jeune garçon poursuivait toujours sa harangue endiablée.

L'Enfant-Double - Tome 1 - Des retrouvaillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant