Chapitre 8 - Juliet (partie 1)

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Avorter devint impossible, les délais étaient passés et claustrée à l'intérieur de leur petite maison, elle n'avait plus aucun moyen de s'échapper. Nul outil n'était disponible pour scier les barreaux des fenêtres, nul verrou ne lui cédait et même si elle y était parvenue, chez qui irait-elle trouver refuge ? Elle ne connaissait personne là où il l'avait emportée. Son chevalier sur son blanc et noble destrier n'était en réalité qu'un ogre prêt à tout pour la dévorer. 

Elle se souvint qu'un  jour, après le mariage, elle avait essayé d'appeler les secours elle-même, dans un sursaut de survie. La conversation avait eu à peine le temps de s'étoffer que Tristan débarqua à l'improviste au milieu de la journée. Précipitamment, Juliet raccrocha au nez de l'opératrice ; sa voix lui avait rappelé étrangement celle de la conseillère municipale qui fût témoin de son mariage, quelques jours plus tôt, Marie. Tristan n'avait pas eu le temps de la surprendre réellement, mais depuis ce jour, Juliet n'osait même plus effleurer le téléphone effrayée par les foudres de son mari.

Un violent coup lui arracha un cri éraillé. Le bébé s'agitait férocement. Les maillons d'acier de ses souvenirs difficiles s'enchaînaient et étreignaient sa poitrine secouée de sanglots, mais ils angoissaient aussi son futur enfant qui ne souffrait plus cet environnement pour continuer de croître. Juliet souffla doucement pour diffuser la douleur en dehors de son corps et détendre les muscles victimes de crampes. Elle ferma les yeux et posa ses mains autour de son ventre, comme si elle avait voulu offrir toute son énergie à son bébé, lui transmettre ses forces pour qu'il pût survivre.  La souffrance estompée, elle se leva du lit. Le bébé s'impatientait, elle devait trouver une tenue convenable pour accoucher. Ce simple mouvement provoqua un nouveau spasme de souffrance qui lui déchira les entrailles. Elle tomba à genoux face à son miroir. L'image que la psyché lui renvoyait faisait peine à voir : des traînées de maquillage noir maculaient son visage, le long de ses yeux et de ses joues, et sa tresse avait expulsé des cheveux en bataille. Un liquide chaud se répandait le long de ses cuisses. Machinalement, elle y porta la main et ses doigts se teintèrent de rouge.

Où est le téléphone ?

Un seul numéro y était enregistré, celui de Tristan, à ne composer qu'en cas d'urgence. Pour l'attraper, elle devait rejoindre la table de chevet de son mari sur laquelle il était déposé. Juliet se viderait de son sang s'il ne l'emmenait pas à l'hôpital au plus vite. Une bouffée de chaleur la surprit. Son regard se troubla et des vertiges la déstabilisèrent un instant. Elle attendit patiemment que ces sensations cessassent pour se mettre debout à nouveau. Elle haletait. La panique commençait à l'envahir et les battements de son cœur s'intensifièrent.

Lentement, elle se releva en prenant soin d'analyser chacune des sensations qui s'emparait d'elle. Elle s'appuya sur le matelas du lit pour se redresser. Désormais, elle devait atteindre cette table de chevet qui lui paraissait si éloignée. Elle posa l'une de ses mains contre le mur pour se laisser guider par des parois inébranlables. Ses doigts tâchèrent la tapisserie saumon qui ornait les murs de la chambre. Pas à pas, Juliet se dirigea vers l'appareil. Le sang continuait de couler le long de ses jambes nues. Il traçait de nouvelles veines jusqu'à ses pieds. La moquette crème absorbait le sang, elle le figeait dans la laine pour n'y laisser que les empreintes tronquées de ses orteils. Elle sentait ses tempes palpiter. Son crâne se coinça dans un étau d'acier. Elle reprit son souffle un instant en s'arrêtant à quelques mètres encore de son but. Elle baissa la tête, les yeux balayés par ses cheveux blonds. Un rire amer s'étrangla dans sa gorge en voyant les marques de ses pas. Elle ne put s'empêcher de penser à la colère de Tristan lorsqu'il verrait les tâches de sang parsemer le sol et les murs. Un désastre qu'il ne saurait probablement pas nettoyer. Elle devrait encore se transformer en sa Cendrillon pour récurer leur chambre nuptiale. Ses larmes se remirent à couler. Qu'avait-elle fait ? Pourquoi s'était-elle laissée convaincre par cet homme obscur ?

Plus elle avançait, plus la table de chevet s'éloignait d'elle et plus les minutes s'étiraient. La bulle de la souffrance l'avait emprisonnée pour la suspendre dans le temps. Son bébé remua, alors sa volonté redoubla. Elle se devait de lui offrir ses dernières bribes d'énergie. Alors qu'elle touchait au but et effleurait le téléphone du bout des doigts, une nouvelle crampe, beaucoup plus aiguë celle-ci, lui tordit le bas ventre. Elle se plia d'abord en deux et chuta sur les genoux, le téléphone dans la main. Elle l'avait saisi in extremis et n'était plus qu'à quelques touches de Tristan. Ces simples petits gestes furent pénibles tant la douleur parcourait la moindre de ses veines. Son corps se vidait d'énergie et son esprit s'embrumait. Quelques touches...

Répondeur. Elle respira et recommença.

Répondeur.

Répondeur !

Encore et encore ce fichu répondeur. Pourquoi Tristan ne répondait-il pas ? Et avec la tempête qui sévissait, les secours ne l'aideraient pas... Mais ils étaient son dernier espoir.

- En raison d'un nombre important d'interventions, nous ne pouvons donner suite à votre appel...

Le message se répétait en boucle. Un cri de rage jaillit de sa gorge douloureuse, mêlé aux sanglots qui l'oppressaient. Un coup de poignard lui transperça à nouveau l'abdomen. Elle ne sentait plus son bébé bouger. Les larmes roulaient en torrent sur ses joues, elle sentait la vie la quitter et elle ne pouvait plus rien y faire. Les battements lourds et pesants de son cœur résonnaient dans sa tête comme autant de coups de marteau qui percutaient les parois de son crâne. Elle fixait le téléphone et attendait qu'il sonne. Elle croyait encore en sa connexion avec son noble chevalier sur son blanc destrier. Cet homme qui l'avait sauvée. Ses doigts s'agitèrent sur le clavier tactile.

"bebesanghelp"

Trois mots, quatre lettres. Sans aucune espace. Ses derniers sursauts d'énergie partirent avec ce court message.

Son noble chevalier sur son blanc destrier... Espoir... Elle croyait encore en lui. Il viendrait la secourir. Oui, il viendrait la secourir, elle en était convaincue. Elle sourit en pensant à ses premiers instants avec Tristan, à combien ils avaient été complices les premières semaines de leur relation, à combien ils s'aimaient, envers et contre tous et à quel point il lui avait sauvé la vie, pour la lui reprendre. Épuisée, Juliet se sentit à peine défaillir.  Sa respiration se fit de plus en plus courte. Elle cligna des paupières pour ajuster sa vue, la chambre ne voulait pas cesser de tourner, puis sa tête bascula sur le côté et ses paupières se fermèrent. Le téléphone, encore serré dans ses doigts, clignotait.

"Aucun réseau. Impossible d'envoyer votre message. Il sera envoyé dès que le service sera de retour."

Note de l'Autrice : 

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Note de l'Autrice : 

Je reprendrai le cours normal des publications, à savoir une mise à jour chaque lundi et chaque jeudi, dès lundi prochain.
Bon weekend. :)

L'Enfant-Double - Tome 1 - Des retrouvaillesWhere stories live. Discover now