Chapitre vingt

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J - 19

Depuis le soir où mon père m'a retrouvé dans le cimetière il y a semaine, j'ai l'impression que je n'ai fait que tomber. Je pensais que pleurer enfin me ferait du bien, mais ce n'est pas le cas. C'est pire depuis ce jour-là. Je n'ai plus la force de faire semblant d'essayer d'aller bien, je n'ai plus la force de tenter de me convaincre que je peux m'en sortir. Je ne pourrai jamais vivre sans Harry, je le sais, c'était stupide de ma part d'essayer de penser le contraire. La seule chose qui m'obsède maintenant c'est : Pourquoi ? Pourquoi il a fait ça ? Ça me rend malade de ne pas savoir. Il n'a pas fait ça sans raison, c'est pas possible. Il a été interné, ils ne l'auraient jamais laissé sortir s'ils pensaient qu'il y avait un risque qu'il recommence. Il voyait son psychologue trois fois par mois, ce n'est pas normal, il n'aurait jamais dû faire ça, il n'aurait jamais dû recommencer. Il n'a pas fait ça sans raison, on ne se suicide pas sans raison, on ne choisit pas de mettre fin à sa vie sans raison. Alors pourquoi il l'a fait ? Qu'est-ce qu'il l'a poussé à le faire ? Ça me ronge de ne pas savoir, ça me ronge autant que de n'avoir rien vu. J'aurais pu l'en empêcher, j'aurais dû l'en empêcher. Si j'avais su. J'ai besoin de savoir, j'ai besoin de comprendre, il faut que je sache, ça me rend fou.

Il est minuit, je ne dors presque plus depuis plusieurs jours, je pense à ça tout le temps. Je ne peux pas rester comme ça. Je me lève de son lit, j'ai la tête qui tourne, je n'ai pas mangé depuis hier matin, ça m'est égal de ne plus tenir ma promesse maintenant. Je mets quelques secondes à retrouver mon équilibre avant de récupérer son journal intime et retourner m'allonger dans son lit. Je reste un long moment à regarder la couverture, à la caresser du bout des doigts. Une part de moi sait qu'elle n'a pas le droit de faire ça, qu'il soit mort ou non ça reste son intimité. Mais une autre part de moi me rappelle qu'il n'est plus là et que j'ai le droit de savoir pourquoi. Peut-être que dans ce carnet il y a les réponses à toutes mes questions. S'il ne me les a pas données lui-même, je crois que j'ai le droit de les chercher tout seul. Je l'ouvre doucement comme si j'avais peur de l'abîmer.

Il n'a pas écrit sur la première page, il y a seulement ses initiales. H-S. Ma conscience me répète encore une fois que ce n'est pas bien, pourtant je commence à tourner les pages. Je ne veux pas tout lire, je ne veux pas tout lui voler, je veux seulement regarder la fin, mais c'est plus fort que moi, mes yeux lisent. Il a commencé à écrire après la mort de Samantha, il n'y a rien avant. C'est douloureux de me reconnaître dans chaque ligne, chaque mot. De réaliser qu'il était autant malheureux à sa mort que moi je le suis à la sienne. Je ne veux pas lire ça, ça fait trop mal. Je tourne les pages.

"Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort."

"Néant. Néant. Néant. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Néant. Néant. Néant. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Néant. Néant. Néant. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Néant. Néant. Néant. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Vide. Néant. Néant. Néant. Vide. Vide. Vide. Vide."

Il y a des pages et des pages noircies de ces mots. Ils sont écrits encore et encore, plein de fois. Il y a beaucoup de ratures, je devine même des traces de larmes sur le papier. Je tourne encore.

DEGRADATION Tome IIIWhere stories live. Discover now