Pieni Kukka

Vers un horizon ou ses embûches

De sa voix rauque et chaude cette nuit-là, il avait apaisé ses craintes et de son pouce caressant ses lèvres, il avait attisé son désir. Pour autant, elle avait gardé la tête froide : elle ne voulait pas s'attacher, bien qu'il s'attelât inconsciemment - ou pas - à lui compliquer sévèrement la tâche. Elle ne lui avait laissé pour seule occasion qu'un chaste baiser échangé et s'en était allée, chamboulée.

Ébranlée.

Bouleversée.

Après s'être confiée à lui, elle s'était laissée convaincre. 

Convaincre de relâcher la pression.

Convaincre que le temps ayant passé, elle n'avait probablement plus rien à craindre.

Convaincre qu'avec lui à ses côtés, il ne pourrait rien arriver.

Convaincre qu'il était temps pour elle d'avoir un travail, un vrai.

☆☆☆

New York - Carter Corporation - Étage détente : quelques jours plus tard

C'est pourquoi, en cette matinée ensoleillée, elle se trouve derrière le bar de l'espace détente du building de Ryan Carter.  La pièce, au design cosy, est baignée de lumière grâce aux nombreuses baies vitrées. Elle saisit une télécommande et oriente les stores de manière à tamiser les rayons du soleil qui pénètrent dans l'espace lounge. Puis elle s'attèle à la préparation des verres et de la carte des boissons qu'elle va proposer aujourd'hui. 

Quelques spécialités de son cru, fruitées et rafraichissantes notamment.

Les premiers employés ne tardent pas à arriver pour commander leur café du matin, certains le préférant accompagné de viennoiseries. Le boulot est assez répétitif et plutôt à classer dans la catégorie dite "alimentaire" mais le salaire est honorable. Il faut dire que n'ayant jamais gagné sa croûte jusqu'à maintenant, elle partait de rien et même un bas salaire lui aurait paru convenable.

Rapidement, le rush matinal prend fin et elle se retrouve à nouveau seule dans le vaste salon. Elle débarrasse le dessus de son bar des tasses laissées par les employées et s'emploie à les nettoyer, se faisant la réflexion que les habitués du bar de Myrta lui manquent. Elle les a revus lors des obsèques de la vieille dame, et chacun s'en était allé de son côté, reprendre sa vie où il l'avait laissée. 

Sans elle.

Et sans son bar. Fermé pour une durée indéterminée.

Le piano lui manque aussi, tout comme les soirées façon cabaret du samedi soir. Elle aimerait récupérer celui du Bar à coudes. Il est très vieux mais bien accordé et l'espace détente de ce building serait un bel endroit pour lui. Elle se surprend à l'imaginer dans le coin à gauche, tout au fond de la salle. Elle s'imagine jouant et chantant à nouveau.

Soudain, une voix bien connue l'interrompt dans ses préparatifs.

— 'Lut, miss... Encore en train d'penser à moi ? la salue-t-il avec son éternel sourire en coin.

— Tu parles, vantard. Je me disais que ça me fait bizarre, de travailler sans pouvoir jouer aussi... Avec Myrta, je faisais les deux...