Pieni Kukka

Révélations et jalousie

Chelsea, New York - Appartement de Colin : quelques temps plus tard, un soir de semaine.

— T'es en retard !

— Pétard, on croirait entendre Tommy. C'est flippant ! Bonsoir quand même.

Elle entre et dépose son sac sur la petite commode qui trône dans l'entrée, près de la porte. Ce geste est devenu habituel, comme un rituel. Voilà en effet déjà une douzaine de jours qu'ils répètent chaque fois qu'elle est disponible. Elle n'a jamais autant pris le métro entre Brooklyn et Chelsea que depuis qu'elle fait partie du groupe.

L'appartement de Colin s'est transformé, comme qui dirait, en QG. Et étrangement, elle commence à s'habituer au lieu comme à son propriétaire. Son domicile est bien loin de la caverne d'ours mal léché qu'elle s'était imaginée au départ. Il en est même à l'opposé et malgré leurs nombreuses frictions, le guitariste semble amorcer vers elle un pas qui ressemble de moins en moins au coup de pied dans le derrière qu'il lui aurait bien mis, fut un temps.

Oh, ça n'a pas été tout rose pour autant, depuis ce fameux après-midi où il s'est excusé ! Les vieux travers ont la vie dure et encore aujourd'hui, il ne se montre pas toujours tendre envers elle. Svenn écope parfois de regards noirs, de soupirs exaspérés, de grognements d'homme des cavernes, quand il lui arrive de perdre le fil d'une chanson, surtout lorsqu'il prend l'envie au guitariste de se lancer dans un solo à la limite du délire complet. Mais cela se produit de plus en plus rarement. Elle s'habitue à son jeu de guitare, elle déchiffre certains de ses regards aussi, bien que la plupart restent encore source de mystères infinis. Tout cela lui permet, lentement mais sûrement, de faire son petit trou au sein des Nightmareden.

Et puis, il y a Adam, arbitre officiel de leurs accrochages. Il a souvent pris la défense de la jeune femme face à Colin, pour son plus grand plaisir à elle et son agacement à lui, lui rappelant qu'en moins de deux semaines, elle avait eu à apprendre les partitions de tous leurs morceaux quand eux, les travaillaient déjà depuis des mois pour certains, des années pour d'autres. Elle partait donc avec un handicap non négligeable.

Le batteur est le pilier du groupe, fidèle à lui même et à son éternelle bonne humeur, un sourire ravageur illuminant constamment son visage à la peau hâlée, encadré par la blondeur de ses légères boucles. 

Un rayon de soleil à lui tout seul. 

Colin, lui, est plus compliqué. Il arbore cet air sombre, torturé parfois, taciturne beaucoup, moqueur souvent mais énigmatique, toujours.

Quoi qu'il en soit, ils font des efforts chacun de leur côté, apprenant à tolérer l'autre, à défaut de complètement l'accepter et le nouveau trio fonctionne plutôt bien.

— En plus, tu m'engueules alors que je ne suis pas la plus en retard apparemment, lui envoie-t-elle en se laissant choir dans le canapé, allongeant ses jambes et croisant les pieds sur la table basse.

— Adam s'ra pas là, ce soir.

— Ah bon ? Rien de grave, j'espère, l'interroge-t-elle en se redressant, tout à coup, sur la défensive.

De la cuisine lui parvient le bruit de canettes de bière qu'on décapsule. La haute silhouette de Colin apparaît dans l'embrasure et se dirige, féline vers elle. Il lui tend une bière avant de prendre place dans le fauteuil lui aussi. Il porte le goulot de la bouteille à sa bouche, en avale une longue gorgée avant de poser ses prunelles acier sur elle.

Il ne répond pas, se contentant de laisser vagabonder son regard sur elle, s'attardant sur son visage, dont il trace le contour nonchalamment puis, descendant sur sa gorge avant de terminer sa course sur sa poitrine, qui se soulève délicatement au rythme de sa respiration.