Le Prince Scorpion

Chapitre 1 : Ambre

— Espèce de vauriens ! cria Ambre à son frère et à sa bande de copains lubriques. Vous verrez quand je saurai voler ! Vous ne perdez rien pour attendre !

La jeune femme abaissa rapidement la tunique kaki qu'elle était en train d'enfiler, cachant par là-même la marque de naissance en forme de scorpion qu'elle avait dans le creux de sa hanche droite. La joyeuse bande de jeunes gens s'envola par-delà la cime des grands sequoias en riant, satisfaite de sa petite farce. Cet imbécile de Godric était encore une fois venu espionner sa sœur alors que celle-ci s'apprêtait à se changer pour la soirée. Tout ça pour se faire mousser devant des amis immatures.

De rage, la jeune fille claqua les persiennes en bois de sa chambre afin de mieux s'isoler et retourna vers son lit où une pile de vêtements propres attendait d'être empaquetée. Elle saisit son sac en toile tout neuf que ses parents lui avaient offert lors de son dernier anniversaire en vue de la cérémonie de l'Envol et glissa les mains dans les sangles spécialement découpées pour laisser place aux deux ailes qui devraient bientôt se déployer dans son dos. Elle admira longuement les détails de la broderie chamarrée qui en décorait les poches et les rabats puis poussa un soupir, évacuant ainsi sa nervosité.

Comme tous les jeunes adultes, elle rêvait de pouvoir enfin voler de ses propres ailes et de survoler le Haut-Royaume à sa guise. D'observer la canopée et son village suspendu dans les arbres, de se glisser au-delà des nuages pour danser dans les rayons du soleil quand ici-bas le temps serait pluvieux et maussade. Mais surtout, elle avait hâte de découvrir la capitale, Ebonia, lieu mythique qui concentrait tous les pouvoirs du Haut-Royaume, aussi bien politiques que magiques. La Grande Migration des Sylphes devait commencer le lendemain aux aurores et il fallait qu'elle se prépare.

La jeune fille se dirigea vers la commode de joncs tressés, ouvrit un tiroir qui grinça légèrement et y prit sa trousse de guérisseuse. Cette dernière était garnie d'une grande variété de plantes séchées et de poudres minérales conservées dans de minuscules fioles de verre et d'autres petits accessoires de soins. En tant qu'apprentie sorcière elle ne se séparait en aucune circonstance de ses remèdes. Nul n'était en mesure de prédire quand une personne pourrait avoir besoin de son aide, pas même l'Oracle. Il fallait toujours être prête. Ambre ouvrit la pochette en tissu ciré pour en vérifier le contenu et s'aperçut que sa réserve d'alchémille était presque épuisée. Il faudrait qu'elle passe voir Lahn, la vieille chamane, avant de partir.

Ambre termina de se changer - à l'abri des regards indiscrets - fixa sa pochette de remèdes à la ceinture de son saroual et une fois ses affaires bouclées pour les quelques jours que dureraient la cérémonie, sortit de sa chambre pour retrouver ses parents.

Lorsque sa mère l'aperçut, elle déploya ses deux paires d'ailes aussi jaunes et fines que des boutons d'or puis voleta dans sa direction. D'ordinaire elle les gardait repliées dans son dos, presque invisibles le long de sa silhouette. Ambre savait qu'elle était aussi nerveuse qu'elle, voire même encore plus anxieuse, car habituellement elle préférait se déplacer en marchant lorsqu'elle était à l'intérieur. C'était une attitude tacite, même si l'habitat était conçu pour tenir compte de l'envergure de certains individus, il n'en restait pas moins que des objets fragiles risquaient de subir les effets des déplacements d'air dû à des battements trop énergiques et à finir leur vie en mille miettes sur le plancher. C'était pourquoi les pièces étaient spacieuses, hautes de plafond et largement ouvertes sur de vastes terrasses extérieures. Ces dernières entouraient la maison sylvestre de toute part pour faciliter les atterrissages et les décollages. Bien entendu, comme une partie de la population ne pouvait voler avant d'atteindre l'âge adulte, des escaliers avaient été aménagés à la base de tous les arbres et s'enroulaient autour des énormes troncs pour permettre aux plus jeunes et aux autres non-volants d'accéder aux appartements suspendus.