Anna, belle Anna.

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Si je devais; et je dois, parler d'Anna, la première chose que je dirais... C'est que c'est une fille un peu (trop) excentrique. C'est le genre de nana qui mange dans les supermarchés avant même d'avoir payé, qui court sous la pluie en imitant l'avion, qui danse sur des chansons tristes comme si elles étaient entraînantes. Elle n'hésite pas à me gueuler dessus lorsque je suis maussade, alors qu'elle ne bronche pas lorsque je casse un verre, ou que je perds mes clés juste avant qu'on sorte en urgence. Non, ce genre de situation l'amuse. Lorsque je casse un verre, elle court me chercher un balai et me supplie d'imiter Cendrillon. Lorsque je perds mes clés, elle en fait une chasse au trésor. Nous sommes souvent en retard, je tiens à le préciser. Très souvent. Tout le temps, en fait. Je me suis toujours demandé comment elle serait, à quarante ans. Est-ce qu'elle aura toujours cette joie de vivre enfantine? Est-ce qu'elle me fera toujours rouler des yeux, tout en provoquant mon sourire? Anna, belle Anna, je me souviens encore vaguement de la première fois que je t'ai vu. J'ai toujours eu mauvaise mémoire, mais ce jour-là, il faisait froid. Cela n'a sûrement aucun rapport pour la plupart des gens, mais je m'en souviens parce qu'elle portait un de ces blousons de ski coloré et vintage. Elle marchait juste devant moi, récitant un poème en promenant son chien. J'avoue que j'ai été fasciné par sa façon d'être. Tellement fasciné que je l'ai suivi sans m'en rendre compte et que j'ai carrément oublié mon entretien d'embauche. Pendant ces quinze minutes à la stalk, j'ai réfléchi à comment l'approcher. Faire le tour et lui dire "Oh il est beau ton chien, je peux le caresser?". Lui demander l'heure. Si elle avait un feu. Si elle n'aurait pas vu un type random. Si elle savait où se trouvait KFC. Et l'inviter au passage. Je suis un romantique, c'est comme ça. Le temps de penser à tout cela et de me traiter intérieurement de psychopathe, elle s'arrêta à un immeuble et attacha son chien à un poteau, puis se tourna vers moi avec un grand sourire.

-Salut, donne moi ton bras. 

Surpris et curieux, j'ai tendu mon bras. Elle releva ma manche et sortit un stylo de sa poche. Elle ôta le capuchon avec les dents et nota des chiffres sur ma peau. Elle replaça le stylo dans le capuchon toujours entre ses dents et le rangea aussitôt de la où elle l'avait sorti. Tous ces détails que j'avais minutieusement observé, comme obnubilé, sont restés graver dans ma mémoire.

-C'est mon numéro, au cas où t'es trop bête pour le comprendre. C'était drôle de te faire faire un détour, on est passé trois fois dans la même rue et tu ne t'en es même pas rendu compte.

Je m'étais  mis à rougir. Quel idiot. Je ne m'étais surtout pas rendu compte qu'elle s'était rendu compte. Cette phrase ne me paraît pas trop Français, maintenant que je l'ai écrite.
Ne mettons pas en doute ma capacité à écrire. 

Suite à cette rencontre quelque peu perturbante, je suis rentré chez moi. J'ai pensé à lui envoyer directement un message, mais je pensais qu'elle penserait que je suis en chien. Et j'ai pensé que je pensais trop. Alors, je lui ai envoyé un message. Vers deux heures du matin. Je n'arrivais pas à dormir, je cogitais trop. 

Moi: [En fait je connais même pas ton prénom...] 2:04
Moi: [D'ailleurs, c'est le type bizarre qui te suivait.] 2:04

A ma grande surprise, elle me répondit quelques minutes après.

?: [Haha, t'es bizarre, en effet. Moi, c'est Anna. Et toi, c'est quoi ton p'tit nom?] 2:12

Et c'est moi qui suis bizarre.

Moi: [Ethan. Ethan Andarster.] 2:12

Anna: [Wow, tu réponds vite. Je vais aller me coucher. Si tu veux, demain, on peut se voir pendant la promenade de Shiba.] 2:14

Moi: [Shiba? Mais c'est pas un Shiba.. ] 2:15

Anna: [C'est vrai mais j'voulais un Shiba...] 2:15

Anna: [Bref, bonne nuit mon chou. Tu m'as pas dit oui pour la promenade, mais j'suis sûre que c'est un oui. Du coup, à demain.] 2:15

Moi: [Bonne nuit, à demain.] 2:16

Je vous avoue, j'étais tellement excité que je n'ai pas dormi de la nuit. Vers midi, elle m'annonça qu'elle promènera son chien à seize heures et qu'elle m'attendrait devant chez elle.
A seize heures tapantes, j'étais devant chez elle, la boule au ventre. Elle eut vingt minutes de retard. Devant chez elle. Elle arrivait à être en retard alors que le rendez-vous était devant chez elle. Je ne lui ai même pas reproché. J'étais tellement stressé d'être en sa compagnie que je n'arrivais pas à lui parler. C'est elle qui parla en premier.

-Bon, me juge pas, je suis toujours en retard. Peut-être parce qu'il y a dix minutes j'étais encore en pyjama.

Un phénomène, cette fille. J'étais de plus en plus intrigué.

On a beaucoup parlé, de tout et de rien. Elle m'a parlé de son métier, ses débuts de mannequin, son amour pour les animaux, son aversion pour les petits pois. Je lui ai parlé de mon chômage, de ma passion pour le dessin, et j'avais pas beaucoup de choses à dire. Je me suis senti ennuyeux, et j'espère qu'elle ne s'est pas sentie ennuyée. Elle ne le paraissait pas, au moins. Puis on a parlé de Shiba, son chien qui n'est pas un Shiba. Elle m'a dit qu'elle l'avait trouvé dans un refuge, et que bien qu'elle aurait voulu avoir un Shiba, elle a craqué pour lui. Elle souriait en permanence, je me demandais comment c'était possible, et dans le futur de ce passé qui est à présent toujours de vigueur, je ne l'ai vu pleuré qu'une seule fois. Je ne vais pas vous spoil, alors je n'en dirais pas plus. A partir de ce jour là, nous nous sommes vus tous les jours, malgré ses retards. Toujours aussi resplendissante, toujours aussi belle. Anna, ma belle Anna, sauveuse de mon quotidien morne et ennuyeux, comment est ce que tu as pu tombé amoureuse de moi?

La rage des papillonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant