texte n°1 - GE-56

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C'est magnifique.

La beauté de ce que je vois en ce moment vaut bien dix fois ces cinquantes années "perdues" dans mon vaisseau spatial. J'y suis, enfin. Suite à une vie entière où, coincé entre les murs grisâtres de ma navette, j'ai enchaîné les plats réchauffés à l'odeur douteuse et au goût encore plus étrange, laissé s'envoler mes excréments dans le vide intersidéral par un tube ni confortable ni hygiénique, flotté dans ce même vide à la recherche d'un passe-temps en accord avec l'apesanteur, perdu aux échecs plus d'une fois contre ce fichu ordinateur, lu et re-lu tous les Agatha Christie, Conan Doyle, Victor Hugo et Albert Camus du genre, appris par coeur les fondements de la philosophie, — de Platon à Kant — les bases de la physique classique, — de Newton à Faraday — les lois très précises de la vie et du cosmos — de Darwin à DeGrasse Tyson — et effectué quelques centaines d'appels vidéo infructueux avec mes amis préférés, oui, suite à tout ceci, je suis parvenu au but de ce voyage — si ce n'est au but de mon existence.

Ce but n'a rien d'une cible marquée de points gradués, ni d'une récompense sucrée, ni même d'un acheminement profond et complexe au travers des périples tumultueux de la recherche du bonheur (ça vient d'un livre de croissance personnelle : ne pas savoir ce que c'est ne vous retirera rien).

Effectivement, j'ai vu beaucoup de nébuleuses, de galaxies et d'étoiles, mais rien de si joli. Le fait qu'il s'agisse de la véritable essence de cette mission rajoute plus à sa valeur, je suppose. Un mélange de bleu-ciel et d'orangé couvre les contours ronds et presque parfaits de la planète. En orbite, un astre tout de roches et de glace fait son petit bout de chemin. Bien moins lisse que son gigantesque homologue, et bien moins coloré. Une "lune", que ça s'appelle.

Chers amis, vous avez dû remarquer mon emploi récurrent de mots et de théories inconnus à vos yeux. C'est que je m'instruis, voyez-vous, même à une cinquantaine d'années-lumière de mon système solaire natal. J'aime aussi étendre mes connaissances; de cette manière, je parais bien plus utile et savant, j'imagine.

Ces habitants, étrangement semblables à nous, apprécient particulièrement se vanter comme je le fais aujourd'hui. D'ailleurs, ils ont beaucoup évolué depuis la première fois que nous les avons observés avec nos télescopes, et ils ont également beaucoup réfléchi. Ce sont d'habiles chercheurs, quoique subjectifs sur les bords. Je les aime bien.

Eh bien, chers amis, je vous présente la planète GE-56, surnommée "Terre" depuis quelques temps. Je tarde d'y atterrir et de découvrir enfin ce que cette beauté mystérieuse nous révèle.

Je joins à mon courriel une photo de GE-56, et vous comprendrez mieux ce dont je veux parler...
Bonne vie, "extraterrestres"! ;-)

Gymnastique d'écritureWhere stories live. Discover now