Chapitre 1

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Chapitre 1 :

L'oubliest parfois aussi important que la mémoire. »

Yves Navarre

Source : Le Temps voulu

Je me réveille en sursaut. Je suis trempée de sueur et haletante. Cette nuit, mes cauchemars ont été plus intenses que jamais. Mon cœur bat la chamade sous le coup de l'adrénaline et de ses images qui persistent à me hanter, à me sonner de jours en jours. Enfant, j'ai été suivi par des pédopsychiatres après l'accident. Les séances ne m'ont jamais aidé. Au contraire, je me suis renfermée comme une huître et j'ai refusé d'évoquer le moindre souvenir de l'accident mortel, me protégeant du monde extérieur au maximum. Pourtant, tous ces souvenirs sont restés là, gravés dans mon cœur. Je crois que ma mémoire n'a pas de sens, n'est pas logique. Je pensais que le cerveau humain résorbait les souvenirs qui font souffrir pour se protéger. Pour moi, ça n'a jamais été le cas, bien au contraire. J'ai l'impression d'être hyper mnésique, mais uniquement des souvenirs les plus douloureux. Malgré moi, certains de mes plus beaux souvenirs comme les Noëls avec mes parents se sont effacés. J'aurais tellement voulu garder cette image des deux personnes les plus chers de ma vie plutôt que celle qui m'est sans cesse réitérée : les cris de mes parents et leurs visages ensanglantés. J'ai parfois l'impression d'être encore dans cette voiture infernale. Certains disent que le temps est censé abréger les souffrances pour que l'on puisse, au fur et à mesure, réparer ses blessures intérieures. J'aurais voulu que ce soit ainsi . . .

Je me souviens cependant du fait que mes parents avaient contribué à mon bonheur, étant enfant. Ils m'apportaient tout ce dont j'avais besoin dans la vie : de l'amusement, des sourires, de rares fessées. Je ne me rappelle pas les détails de ces événements, mais je sais cependant une chose : ils m'ont donnés de l'amour à revendre, de l'amour qui dégoulinait formidablement de partout. Je n'ai jamais trouvé autant d'amour nulle part, même pas dans la famille d'accueil qui m'a recueillit par la suite.

Comme d'autres enfants orphelins, je culpabilise cependant d'avoir oublié les mimiques, les voix mais surtout les rires de mes parents au détriment de leurs visages ensanglantés et de leurs corps inanimés. . .

Après ma douche, je me rends dans le salon. J'écarquille les yeux. Ma mère adoptive, Gina, est affalée sur le canapé, une bouteille de vin bas de gamme déjà entre ses mains. Je la saisit avec vigueur et affiche une mine de dégoût.

— Gina ! Pas si tôt le matin ! Habille-toi au lieu de rester en pyjama ! Tu empeste l'alcool à plein nez !

J'ai l'impression d'être devenue sa mère et que les rôles se sont inversés. Je dois la secouer alors que, logiquement, c'est elle qui devrait le faire. . .

— Tu n'es pas ma fille, tu entends, tu n'es pas ma fille, hurle t-elle. Paul n'était pas ton père non plus tu entends ! Je fais ce que je veux ! Si je veux me bourrer la gueule, je me bourre la gueule ! Tu sème le mal autour de toi !

Le dédain à mon égard que je lis dans ses yeux me glace le sang. Je m'éloigne premièrement afin d'éviter son regard méprisant, puis pour cacher la bouteille dans le placard de la cuisine que je peux fermer à clé. Je ne prête plus attention aux propos de Gina depuis bien longtemps. . . Je ne peux pas lui en vouloir, au fond. Elle souffre, elle souffre énormément. Ça la détruit. Elle n'a jamais pu se remettre de la mort de Paul, son mari, survenue il y a trois ans de cela et elle a sombré dans l'alcool depuis, sans que je ne puisse ni le déceler, ni l'empêcher. Il a fait une crise cardiaque, subitement, lors d'une sortie avec Carla, leur fille biologique et moi. Je sais que Gina me tient pour responsable de la mort de son mari ... Elle me déteste. J'étais tellement proche de Paul, je l'aimais comme si il était le nouveau père que la vie m'avait offert. Sa mort m'a aussi fait terriblement mal. En plus de supporter cette douleur, Gina ne cesse de me répéter que je porte la poisse, et que j'engendre le malheur de tous ceux qui me sont proches. Entendre cela me fait terriblement mal. Je dois pourtant me rendre à l'évidence du fait que j'ai perdu les personnes qui comptaient le plus dans ma vie. Alors, en fin de compte, j'y crois un peu, comme si je portais en moi une malédiction dévastatrice.

Consciemment ou inconsciemment, j'évite les gens au maximum et je repousse chaque personne qui manifeste un peu trop d'attention à mon égard. Pour expliquer cela, j'ai émis plusieurs hypothèses. Déjà, je n'apprécie pas vraiment le fait d'être trop entourée, non pas parce que je suis taciturne, loin de là, mais plutôt pour la simple et bonne raison que je nourris une peur panique à l'idée de perdre une personne à laquelle j'accorderais mon amitié ou mon amour. J'ai peur de la mort, mais pas forcément de la mienne, plutôt de celle des autres. Cette pensée est assez morbide, je sais et elle ne devrait pas gouverner ma vie sociale, mais je n'arrive pas à m'en défaire et elle me suit constamment ...

La seule qui a su m'apprivoiser est Olivia, ma meilleure amie et collègue de travail. Elle n'a pas lâcher l'affaire avec moi. Elle a insisté – enfin insisté est un mot trop faible encore— elle m'a plutôt harcelé pour me connaître, pour me voir, pour me parler... Sans elle, je me serais déjà morfondu plus d'une fois. Je sais que je pourrais toujours compter sur elle et inversement. Je dois admettre que c'est agréable d'avoir une personne avec laquelle je peux rire, m'amuser, être moi même, tout simplement.

J'inspecte minutieusement la maison, à la recherche d'autres bouteilles de vin, sans résultat. Je n'ai pas dû encore déceler toutes ses cachettes. Perplexe, j'enfile ma veste en imitation cuir et m'apprête à passer le pas de la porte.

— Gina, je pars travailler ! Si tu as un problème, n'hésites pas à m'appeler !

Elle balbutie :

— J'ai pas besoin de toi espèce de fainéante avec un... un... métier de fainéante. Vendre des baraques derrière un bureau, c'est bien un métier digne de toi. Carla ma vrai fille va venir me rendre visite tout à l'heure. Elle bosse très très dur, elle ! C'est ma fille chérie. Toi tu t'en va quand tu veux, je veux faire ce que je souhaite sous mon t-t-t-t toit. Si je veux boire chez moi, je bois chez moi, point barre.

Je lève les yeux aux ciel, mais mon estomac se tord. Je sais bien sûr que Gina a l'alcool mauvais, mais, encore une fois, je suis blessée, comme si une entaille avait pénétré très profondément dans mon cœur, des mains de ma propre mère adoptive. Mille et une fois, j'ai eu envie de partir, sans le pouvoir. Je ne peux pas me résoudre à laisser Gina seule, à l'ombre du souvenir de la femme aimante et joviale qu'elle était autrefois, lorsqu'elle m'a recueilli alors que j'étais dans le plus terrible moment de toute mon existence.

Je ferme la porte d'entrée de la maison, la tête baissée, le cœur lourd.

Irrémédiable Attraction en pause (réécriture totale envisagée) - Tome 1Where stories live. Discover now