Aux confins du rêve

Depuis le début
                                    

Soudain, le sol entier trembla sous moi et céda.


Je glissai dans l'éboulis, bientôt trempée, luttant pour ne pas couler sous les flots.

Une lumière aveuglante se mêlait à l'eau pour m'aveugler tandis que le vacarme de trombes d'eau effroyables s'amplifiait de seconde en seconde, assourdi seulement quand ma tête sombrait sous le flot tumultueux. Enfin je basculai avec le flux dans une chute vertigineuse, criant par réflexe et m'étouffant dans l'écume. Je fus précipitée par le fond, presque noyée, sans conscience du haut ou du bas. Par chance et dans un dernier sursaut de lucidité, au bord de l'évanouissement, je touchai un rocher du bout du pied et poussai de toutes mes dernières forces, enragée par l'instinct de survie, et je crevai la surface, inspirant un air brûlant qui me fit tousser. Je me débattis pour rester à l'air libre et, par hasard, ma main s'accrocha à une branche que j'agrippai avec hystérie, tirant pour me hisser sur la berge.

Je faillis abandonner cent fois mais la peur, l'envie de vivre, le besoin de m'en sortir reprenaient le dessus et, enfin, je m'abattis enfin sur le flanc et roulai sur le dos, les yeux ouverts sur un ciel vert sombre.


Je souriais, haletante, pleine du bonheur simple de respirer, car j'étais enfin arrivée dans ce monde enchanteur auquel je rêvais ! J'étais heureuse face à ce monde verdoyant, grandiose : des oiseaux aux mille couleurs volaient dans le ciel entre les nuages ; l'air était frais et je le respirais à grandes gorgées ! J'étais comme au Paradis. Le sentiment qui m'envahissait était indescriptible.

Je me relevai, lentement, et je pus observer ce spectacle fourmillant de vie, de bonheur et de couleurs. De grandes montagnes, titans de pierre, surplombaient en l'entourant ce paysage de rêve comme les rebords d'un plateau.

Au loin, dans l'ombre de ces montagnes, j'apercevais des villes et, plus près de moi, des villages. Les maisons étaient de briques, les toits de paille. A quelques centaines de mètres, je crus distinguer dans le soleil couchant les silhouettes d'enfants et d'adultes dansant autour d'un feu. La fumée sortant des cheminées des chaumières fusionnait avec les nuages. Cette fumée légère flottant dans les airs apportait vers mes narines une odeur merveilleuse d'orange et de poulet rôti. Je décidai donc de m'approcher de ce village. Tel Thésée suivant le fil d'Ariane dans un labyrinthe de merveilles, je marchais. J'étais heureuse. Le sourire radieux, guidée par ce parfum, je n'étais plus qu'à un kilomètre du village. Pourtant, j'avais l'impression que j'aurais déjà dû y être arrivée. Mais ce n'était pas le cas. J'étais encore très loin de ma destination ; je dirais même que plus j'avançais et plus j'avais l'impression de m'éloigner. Je ne comprenais plus rien.

Malgré cette incompréhension, je continuai néanmoins à marcher, déterminée à arriver.


Mais, Indéniablement, il y avait un problème.


J'avais beau accélérer, ma destination me demeurait de plus en plus inaccessible.

Je me mis d'abord à courir mais la distance entre le feu de camp et moi se creusa.

Alors je m'arrêtai et m'assis en tailleur sur le chemin poussiéreux, les yeux sur le feu, l'esprit bouillonnant de questions et d'émotions contradictoires. Je me remémorai soudain qui j'étais et d'où je venais, comprenant tout en la brisant que j'étais victime d'une illusion : mon euphorie de tout à l'heure n'était pas normale. J'aurais dû être stupéfaite, effrayée, circonspecte. Au mieux méfiante. Et j'avais foncé bille en tête alors que je venais de manquer me noyer.


C'était incompréhensible.


Comme si, l'espace de quelques heures, j'avais été une autre. Comme si je m'étais perdue dans un rêve. Un cauchemar.

Anthologie de nouvelles - [ En Cours ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant