Ana-Rose face au noir ; 21.

Start from the beginning
                                    

   Ma voix se brisa.

   Déotile plongea ses yeux bleus océan dans les miens.

   « Parle plus de ce connard, ok ? Tu sais quoi, on va aller se prendre un truc à bouffer parce que je meurs de faim, et ensuite on va aller faire les boutiques.

   — T'es vraiment qu'un gros cliché. »

   Elle éclata de rire alors que j'avais lâché ça d'un ton vraiment méchant.

   Déotile Talleyrant était super clichée. Elle faisait tomber les mecs depuis qu'elle avait onze ans, réussissait dans la vie, démentait les rumeurs, était populaire, gentille et avait un copain prêt à tout pour elle. Et en plus elle faisait du shopping pour oublier les problèmes. J'aurais mis ma main à couper qu'elle buvait du café avec deux sucres en y plongeant ses spéculoos dedans et qu'un rien l'habillait.

   « Ça me fait plaisir, je fais pas tellement de shopping, je préfère acheter en ligne. Mais là j'ai essayé de faire comme la meilleure amie dans les films, et tu me traites de cliché, ça veut dire que mon plan fonctionne. »

Elle arbora un sourire éclatant jusqu'à ce que j'en laisse échapper un minuscule.

« Allez, on va bien s'amuser à passer une journée entre filles larguées.

— Pardon ?

— Bin mon orientation, mes amitiés, tout ça, j'suis totalement paumée, donc bon.

— C'était une blague de super mauvais goût. »

Elle plissa le nez en voyant mon visage fermé.

« Tu as la tête de quelqu'un qui doit boire des litres de vodka ou de smoothie mangue-citron.

— Tu prends aussi le smoothie mangue-citron ? m'émerveillais-je faussement. »

Je n'avais jamais goûté à ce truc et ça me tentait à peu près autant que le fait de revoir Gabriel. C'est à dire absolument pas.

   « Toi t'as jamais goûté, espèce de mytho. Ce truc est tellement ignoble que six litres ça te pulvérise, pire que de la Javel. Mort imminente. »

   Déotile passa son bras autour de mon épaule et me serra contre elle.

   « Tu sais, mon ex m'a larguée pour une autre fille, et je peux t'assurer que ça m'a fait tellement mal. J'en ai pleuré tout les soirs pendant deux semaines. Après j'ai guéri, parce que j'ai réalisé que j'étais surtout blessée dans mon ego et que Gaëtan me faisait peur. Et le premier mars...il est mort. J'ai pleuré, pleuré, je me sentais tellement mal, puis y a Augustin qui m'a regardée, un peu, à la récré, puis c'est devenu une sorte de rituel.

   — Merci de ce témoignage inutile.

    — Augustin m'a aidée, et c'est comme ça que j'en suis tombée amoureuse. Gab, c'était pas le bon, c'était une erreur, et la prochaine personne qui t'aide inconsciemment sera ta future relation.

   — Merde, on va sortir ensembles ?

   — Je suis consciente que je t'aide. Tu sais, les regards, y a rien de plus intime, quand c'est pris sur l'instant. Pour moi, c'est capturer une âme enflammée. Et ça m'aide, de savoir de quelqu'un veut capture ton âme en feu. Ce que je veux dire, c'est que quelqu'un t'aidera, de manière anodine mais qui aura une putain d'importance pour toi, c'est capturer ton âme en feu, c'est t'offrir le soleil d'entre ses dents, c'est t'offrir son attention. »

Une moue fendit ses lèvres pendant que j'haussais les sourcils, sceptique.

« Donc pour aller mieux, je dépends de quelqu'un ? Je peux pas être une fille indépendante, je suis obligée d'être secourue par mon prince charmant ?

— Pas forcément d'un prince charmant, mais je pense qu'on a tous besoin de quelqu'un ; pas forcément pour sortir avec, juste pour se sentir important. Tu vois, si on va ensembles à un concert, tu vas danser avec moi, on va s'époumoner. Si t'y vas toute seule, tu vas pleurer parce que aaaah c'était sa chanson. »

   Son épaule se rapprocha de la mienne, quant à nos côtes, elles fusionnaient carrément.

   « Je sais qu'on est pas super proches, mais ça me touche que tu m'en parles alors qu'on se connaît à peine : je veux juste te dire que si t'as besoin d'un réconfort, je suis le type de personne qu'on peut appeler, même à cinq heures du matin. »

   Ce fut à moi de la serrer dans les bras.

   « Tu es tactile ? s'étonna-t-elle. Bon, allez, assez papoté, je dois trouver une paire de sandales. »

   Elle arborait aux pieds une paire de baskets flambant neuves. Déotile était une fille bien étrange.

   Mais elle était réconfortante et je pouvais me considérer fière de l'avoir comme copine de galère.

   Au fond, ma mère avait raison ; sortir avec des gens, me forcer à aller bien, ça m'aidait.

Demie-teinte.Where stories live. Discover now