IV. Civilisium

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Saison Automne 3015 - Lunaison 12 - Lune 5

Identification : Murphy 76890

Je jette un dernier coup d'œil dans le miroir. Même si j'ai personnellement du mal à affronter mon reflet, je suis tout de même plutôt acceptable pour assurer une lune de travail standard. Je consulte mon Dreamcatcher.

« Il est maintenant sept heures quarante. Vous devez partir dans cinq minutes pour être à l'heure au Civilisium » m'informe t-il.

Les retards ne sont pas tolérés au travail : les conséquences sont souvent immédiates et peu amusantes. Il faut que je me presse. Je crie à Matt :

« Tu pars dans combien de temps ? Ta capsule est déjà là ? »

Matt me répond d'une voix légère :

« Dans dix minutes ! »

Je me dirige vers lui pour l'embrasser. Nos lèvres se frôlent en un baiser tendre mais furtif. Soudain, je l'enlace avec force, comme s'il allait s'évaporer. Il est ma bouée de sauvetage. Je suis profondément attachée à lui. Je ne sais pas si c'est de l'amour et, au fond, j'espère que ce n'en est pas. Cela pourrait nous mettre dans une situation plus que délicate vis-à-vis de la Haute Sphère, car l'interdiction d'aimer est formelle.

* *

Capsule, n.f. : Moyen de transport individuel permettant de se déplacer au sein d'une Cité. Les capsules circulent dans des conduits à air comprimé reliant les habitacles des différents secteurs aux réseaux souterrains de Magélan.

Scancortex, n.m. : Procédé d'identification par scanner psychique du boîtier cortexal.

* *

Je me détache finalement de Matt, non sans un petit pincement au cœur. Je le regarde droit dans les yeux. Dans ses prunelles couleur acier, je vois sa volonté de me protéger. Malgré son jeune âge, ses cheveux sont blancs comme neige et ses yeux, gris comme du métal. Il est beau et glacial à la fois, et cela me plaît. Je pose un dernier baiser sur sa joue avant de m'enfuir.

Je fonce vers le fond de l'habitacle. Une capsule m'attend sagement, me rappelant la lune de travail qui m'attend.

Je me positionne avec précaution devant elle. Ses parois sont transparentes. Un fauteuil possédant de larges accoudoirs me fait face. Au bout de quelques instants, un faisceau lumineux me balaye le visage, puis s'arrête entre mes deux yeux pour accéder à mon boîtier cortexal. Une fois que le scancortex m'a identifiée, la porte de la capsule s'ouvre et je peux pénétrer à l'intérieur.

Je m'installe avec difficulté : le siège n'est vraiment pas confortable... La porte se referme en coulissant. À travers la vitre, je vois Matt en train de manger goulûment ce que je lui ai programmé. Je me détourne de lui et entre ma destination sur le tableau de bord.

Deux sangles gélatineuses sortent du fauteuil et m'enlacent la poitrine. Les voyages en capsule peuvent être éprouvants : elles sont propulsées dans les conduits à une vitesse vertigineuse. Alors il vaut mieux être bien attaché.

Une voix m'informe que la capsule se mettra en mouvement dans cinq secondes. Un bourdonnement étouffé me parvient ; la machine démarre.

Soudain, un souffle gigantesque se déclenche dans le tuyau. Je m'agrippe fermement aux sangles qui entravent mon torse tout en retenant mon souffle et je ferme les yeux. La capsule se décroche d'un coup sec et chute dans le vide, vers les profondeurs de Magélan, notre Cité. Je n'ai jamais aimé me déplacer en capsule. J'ai le cœur au bord des lèvres à chaque fois. Je n'arriverai jamais à m'habituer à la chute initiale.

* Le Monde des Rêves - ( ÉDITÉ - DISPONIBLE EN VERSION NUMÉRIQUE & PAPIER )Where stories live. Discover now