1 : Prévenir.

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« J'étais tomber amoureuse au premier regard. Dès la première minute. Être auprès de lui me procurait un bien fou, comme si mon esprit reprenait vie après toutes ces insupportables années de patience et d'attente. Ma vie ne se résumait qu'à subir, qu'à endurer dans la souffrance et pourtant, ce jour-là, le jour de notre rencontre, j'avais ressenti comme une délivrance, comme un poids en moins sur le coeur. Je n'avais pas encore conscience qu'en réalité, à ce moment-là, cet homme au charisme mystérieux et convoiteux venait de prendre emprise sur ma personne. Je ne soupçonnais pas encore qu'à mes yeux il finirait par devenir ma raison de vivre, mon plus grand désir mais aussi ma plus grande angoisse. En réalité, le mal venait de prendre place dans ma vie, sans même que je n'en doute une seule seconde. » page 1

– « On descend, je m'arrête là ! » s'écrit le chauffeur du bus alors que je m'étais perdu dans mes profondes pensées. Je me lève rapidement, enfile mon sac à dos et me saisi de ma valise et du pot de fleur que j'avais déposé à mes côtés. Pressé, je m'avance vers la sortie lorsque quelque chose me saute aux yeux.

– « Mais...ce n'est pas le terminus ?! » remarquais-je, furieux. Pourquoi me fait-elle descendre alors que ce n'est même pas ma destination ? De son air complètement blasé, la femme se retourne vers moi pour me faire signe de me dépêcher.

– « J'vais pas aller jusqu'au bout pour tes beaux yeux, mon chéri. C'est ici que tu descends ou rien. J'ai pas que ça à faire. » réplique-t-elle d'un air hautain. Pas que ça à faire ? C'est bien ton travail, espèce de pimbêche ?! Je descends malgré la pluie et cours promptement me réfugier sous un arbre. Quel manque de respect ! Me faire marcher sous un temps pareil alors qu'il n'y a aucun taxi en vue et que je n'ai même pas de parapluie... Je soupire frénétiquement, fatigué par ce long voyage. Quand est-ce que je vais enfin arriver ?

– « Bordel, de merde... » soufflais-je, observant la pluie s'abattre sur le paysage incroyable. Sans grande conviction, je me mets en marche sur la petite route. Je ne suis même pas sûr d'être dans la bonne direction. Il faut dire que la lettre ne donnait aucun numéro de téléphone, ni personne à contacter alors j'ai assez peur de me retrouver seul dans un pays que je ne connais même pas. Lorsque j'admire les alentours, la forêt m'accable complètement. Je prends vite goût au son mélodieux des gouttes d'eau qui viennent s'écraser sur le feuillage vert des différents arbres. Aucun bruit de circulation ni de population de masse ne gâche cet instant. Il avait raison, la forêt vit à une allure complètement différente de la nôtre. Grand-père ne mentait pas, tout est absolument lumineux malgré le ciel gris. Je me perds peu à peu dans la brume alors qu'il n'est même pas encore six heure du soir. C'est à peine croyable de savoir que lui avait le droit de se réveiller chaque matin dans un endroit aussi reculé et calme que celui-ci. Tout est absolument parfait. Ce n'est certainement pas à Shanghai que j'aurai pu admirer une œuvre aussi irréaliste. Le mauvais temps ne me rend pas plus morose, au contraire. J'apprécie l'air frais, la pluie, le cadre idéaliste qui me donne même l'impression d'être dans un film tellement tout cela semble idyllique. Seul le froid de l'hiver m'empêche de savourer pleinement mon expérience.

Après dix minutes de marche, j'atteins finalement le terminus. Pour me consoler, j'espère simplement qu'une couverture bien chaude m'attendra sur le lieu de rencontre parce que je ne crois plus être capable de sentir mes pieds. Je continue de marcher, encore et encore et finis par croire que j'ai dû manquer la demeure tellement cela me semble loin. Puis, un énorme portail de trois mètres de haut attire soudainement mon attention. Dieu merci, enfin ! Je cours comme un gamin, excité de pouvoir enfin me mettre à l'abri mais je désenchante rapidement. Les cheveux complètement trempés, j'attends quelques secondes devant le grillage. De l'autre côté, seule une allée de gravillon se présente à moi. Est-ce que je suis encore loin ? J'entre discrètement, tel un voleur. Je ne sais pas vraiment pourquoi mon cœur se met soudainement à battre aussi rapidement, sûrement le stress. Il m'a bien fallu cinq minutes avant de pouvoir enfin admirer le château de mes propres yeux. Une petite voiture blanche est garé devant celui-ci. Bordel...il avait sûrement oublié de me dire que l'homme dont il s'occupait était riche. Anxieux, je monte les quelques marches pour atteindre le porche et toque à la porte, terrifié à l'idée d'être rejeté. Je ne sais pas vraiment ce que je cherche en venant jusqu'ici. Mais...même si ce n'est que pour un court moment, je souhaite connaître ce que grand-père a vécu. Oui, ma vie n'est rien de bien intéressant alors...si je peux ouvrir les yeux, comprendre ce qu'il a essayé de me faire assimiler, le risque en vaut le coup. Mon grand-père s'occupait d'un homme. Je ne sais pas si c'est parce qu'il est trop vieux ou trop malade, je sais juste qu'il devait passer ses journées avec lui et qu'il appréciait réellement sa présence. Il ne parlait pas souvent de son travail mais je sais qu'il s'y donnait toujours à fond. C'est sûrement pour ça qu'il ne venait jamais nous rendre visite et qu'il ne quittait plus Jeju depuis quinze ans.

Un homme strictement habillé m'ouvre la porte. Ses lunettes carrées et ses cheveux blancs le rendent immédiatement très froid et distant. Pourtant, il m'accueille d'un petit sourire sincère avant de m'inviter à entrer. Je pénètre à l'intérieur, sans savoir par quoi commencer. Me voilà complètement soucieux, tel un gamin de dix ans débarquant dans sa nouvelle classe en plein milieu de l'année. Et c'est quoi cet étrange sentiment qui s'empare de moi ?

– « Vous devez être Dong Sicheng. Le maître attendait votre venue. » m'apprend l'homme au beau milieu du hall d'entrée. Oh, il me connaît ? Deux autres hommes viennent rapidement me débarrasser les mains et mon manteau. Celui qui semble être le chef du personnel me propose gentillement une serviette pour sécher mes cheveux et mon visage. Je la saisi et m'essuie silencieusement alors que mon corps tremble presque de froid. « Peut-être devriez-vous vous changer avant, au risque de tomber malade. » énonce-t-il en remarquant que mes vêtements sont submergés d'eau.

– « Oh, je...ce n'est pas... »

– « Jaehwan, accompagne Monsieur Dong jusqu'à sa chambre. » m'interrompt le majordome sans que je ne puisse donner mon avis. J'ouvre la bouche, préférant refuser sa proposition, mais malheureusement, le Jaehwan en question et bien plus cursif que moi. Il attrape mes affaires et m'invite à le suivre d'un léger signe de tête. Celui-ci est beaucoup plus jeune que le chef. Jaehwan a sûrement deux ou trois ans de plus que moi. Il n'est pas bien plus grand mais son côté moins classique que les deux autres en bas me fait penser qu'il est plus immature et plus spontané. Dans un silence pesant, je monte les marches des escaliers alors qu'à chaque pas, la demeure me paraît de plus en plus grande. C'est un hôtel ici ? Ils sont combien à vivre ici ?

– « Entrez, je vous prie. » m'annonce Jaehwan en ouvrant l'une des nombreuses portes alors que je reste captivé par la couleur de ses cheveux. Ils sont légèrement teintés. Entre le blond et le châtain clair, ce qui ne peut le rendre que plus séduisant et donc plus intriguant. J'entre finalement dans la pièce malgré l'indescriptible angoisse qui m'habite. Qu'est-ce que cela signifie ? Pourquoi est-ce que les choses se déroulent-elles de manière aussi étrange ? « Je vais vous laisser vous changer. N'hésitez pas à me demander si vous avez besoin de quelque chose. Je vous attends à l'extérieur, Monsieur Dong. » continue-t-il studieusement, d'un petit sourire envoûtant. Je tente de donner mon avis une seconde fois mais apparemment personne ne souhaite m'écouter ou m'expliquer les choses puisqu'il referme aussitôt la porte, me laissant seul face au bois vernis de la seule issue. Seul dans cette immense chambre, je contemple la décoration neutre et sombre. Si j'avais envie de me réchauffer, c'est raté. Tout est froid, à croire que personne ne vit ici. Je me change rapidement, de peur que quelqu'un n'entre ou ne vienne me demander de sortir juste au moment où je serai le moins présentable. J'ai toujours tendance à manquer de chance... C'est assez curieux de me retrouver ici. Comment savaient-ils que j'allais venir ? Pourquoi le maître m'attendait-il ? « Vous êtes prêt, Monsieur Dong ? » s'interroge Jaehwan lorsque je ressors de la pièce. Il a vraiment attendu ici que je finisse de me changer ? Aish...cela ne fait que me rendre plus crispé que je ne l'étais déjà... Ils sont bien trop gentils et soucieux avec moi.

– « Appelez-moi Sicheng... » répondis-je, embarrassé. Jaehwan hoche positivement la tête avant de reprendre le chemin pour me mener je ne sais où. A ses côtés, j'examine les murs de la maison, tous recouvert d'une épaisse couche de tapisserie au couleur sombre. Rien n'est coloré ou éblouissant dans cette demeure. A croire que le propriétaire ne cherche qu'à rendre maussade son habitat, à fuir tout ce qui donnerait un léger éclat de bonheur à ses alentours.

– « Vous pouvez m'appeler Jaehwan. Et...vous n'avez pas à me vouvoyez. » sourit-il de manière attentionné, tout en m'indiquant le chemin d'un geste de la main. Mes pas sont rapides malgré moi, comme si Jaehwan était pressé, comme s'il avait un horaire bien précis à respecter.

– « Alors vous...enfin. Ne me vouvoies pas non plus. J'ai l'air plus jeune que toi... » avouais-je, toujours aussi stressé et angoissé. Je ne suis généralement pas d'humeur très réservé mais aujourd'hui, les choses sont différentes. Le fait que je sois loin de chez moi, dans un pays différent du mien et que je me doive de parler en coréen malgré mon très bon niveau, n'arrange pas les choses. Surtout parce qu'en réalité...je ne suis même pas sûr d'être accepté dans cette maison. Après tout, je n'ai pas les mêmes qualifications que mon grand-père, je ne me suis jamais occupé de personne à part moi-même. Mes parents me décrivaient tellement tête en l'air qu'ils n'avaient même pas acceptés de m'offrir un chien pour mes onze ans, alors je ne vois aucune raison pour le maître de se confier à moi.

– « D'accord. Je ne suis pas sûr que cela plaira à Monsieur Park mais...puisque c'est toi qui me l'a proposé. » rit-il comme un enfant. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un léger sourire face à son comportement. Il ne m'a pas l'air méchant, bien au contraire. Puis, il a un effet apaisant. « Monsieur Park c'est le vieux monsieur aux cheveux blancs qui t'a ouvert la porte. C'est lui qui commande après maître Min. Il n'est pas du genre à se familiariser avec les gens mais on finit par l'apprécier. Toi, c'est un peu différent. T'es un peu comme un invité ici. » continue-t-il sans freiner la cadence de sa marche. Je le suis, ne comprenant pas pourquoi le cas est différent pour moi. Mais j'imagine que les choses vont s'éclaircir lorsque j'aurai rencontré celui que je vais apparemment devoir appeler maître Min.

– « est-ce que tu m'emmènes ? » osais-je demander alors qu'un silence avait prit place entre nous. Jaehwan sourit une nouvelle fois. Visiblement, cela l'amuse de me voir aussi curieux.

– « Tu vas rencontrer le maître. Il est dans sa chambre...comme toujours. » m'apprend-il d'un air enjoué. Je suis assez heureux de savoir que je vais pouvoir rencontrer celui qui a partagé les derniers instants de mon grand-père. Grand-père n'en parlait pas beaucoup mais à chaque fois qu'il l'évoquait, il ne parlait de lui qu'en bons termes alors je suis assez impatient de pouvoir enfin mettre une tête sur sa personne. « Ne... Enfin, tu verras par toi-même. » marmonne Jaehwan en posant sa main sur la poignet de la porte. Une fois ouverte, il me fait signe d'entrer sans un mot. Peut-être est-il vraiment faible pour qu'il ai besoin de personnel à ses côtés... Le maître est assit sur son lit, face à le fenêtre, dos à moi. A ma plus grande surprise, il n'a pas les cheveux gris et ne porte pas de tenue indiquant qu'il est bien trop malade pour se lever seul. Mal à l'aise, je lie mes mains l'une avec l'autre avant de m'avancer jusqu'au milieu de la pièce. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire ? Et s'il me demande ce que je fais là ? Ce qui m'a poussé à venir jusqu'ici ? Nous ne nous connaissons même pas, je n'ai aucun droit de lui demander de rester...

– « Nous vous attendions il y a déjà trois semaines. » commence-t-il froidement. Ébahi par le timbre de sa voix, je reste de marbre. Comment...comment pouvait-il m'attendre ? Moi-même j'ai longuement hésité avant de tenter l'aventure. Personne n'aurait pu prédire ma venue, même pas mes parents... « Votre grand-père disait que vous arriveriez il y a trois semaines. » explique-t-il, comme s'il avait pu ressentir mon incompréhension. J'avale difficilement ma salive, de peur de faire ne serait-ce qu'un bruit de trop avant de répondre.

– « Il...il vous a aussi laissé une lettre ? » demandais-je calmement. Je pèse ma voix et mes mots, ne sachant comment m'adresser à lui. S'il se fait appeler maître, c'est que c'est certainement quelqu'un d'important. Il se lève de son matelas, sans me répondre. Les mains dans les poches de son pantalon, il s'approche un peu plus de la vitre pour mieux analyser l'extérieur. Intrigué, je l'admire de bas en haut. Dans son costume noir, il ne paraît pas si âgé finalement.

– « Non. Il m'avait simplement demandé de vous attendre. Il disait que vous viendriez jusqu'à moi. C'est ce qui était convenu. » m'informe-t-il sèchement. Je n'arrive à assimiler aucune émotion dans la façon qu'il a de me répondre. Je suis beaucoup trop intéressé par son aura, par ce qui émane de son charisme alors que je n'ai même pas encore vu à quoi est-ce qu'il ressemble. Mais...comment ma venue pouvait-elle être convenu alors que...jamais il ne m'avait parlé de ce projet avant ?

– « Oh...hum...alors... Je...je peux rester ici ? » conjurais-je maladroitement. Le maître Min se retourne enfin vers moi. Les cheveux noirs, sans aucune brillance, le visage pâle mais parfaitement dessiné, les yeux sombres, presque noirs et la posture droite quasiment similaire au plus grand homme d'affaire, je manque de m'étouffer lorsque je le découvre. Il...il n'a même pas la trentaine. Il est jeune, tellement plus jeune que ce que j'avais imaginé. Tout habillé de noir et de sa chemise blanche, le maître Min m'observe muettement. Il est si impassible, stoïque, tellement froid et hautain. Aucune expression, aucun sourire ne se devine sur son visage. Comme si me voir lui rappelait tous les mauvais moments qu'il a pu vivre par le passé.

– « Vous n'êtes pas obligé. Mais si vous le souhaitez...vous ne manquerez de rien. Vous devrez simplement me servir. » s'exprime-t-il calmement. Sa voix est harmonieuse, posée mais impérieuse et autoritaire. Il n'est certainement pas le genre de personne à qui l'ont peut tenir tête. Cependant, il semble plus lent mais aussi plus droit que les trois autres personnes que j'ai rencontré avant. Il n'a pas l'air d'être pressé et débordé comme l'était visiblement Jaehwan. Il semble vivre dans un autre temps...mais je ne saurai décrire pourquoi cette impression me traverse. Je ressens de nouveau cette espèce de boule de stress que j'avais presque oublié depuis que j'étais entré ici.

– « Je... »

– « T'es levé ? » s'exclame une voix féminine, tout en entrant dans la chambre. Sans même avoir frappée, une magnifique femme, brune aux jambes élancées a déboulé dans la chambre, interrompant ma phrase alors que je me sentais déjà assez gêné comme ça. Le maître Min soupire d'agacement alors que moi, les yeux grands ouverts, je m'extasie devant son incroyable beauté. « Oh... J'pensais pas qu'il arriverait aujourd'hui. » se justifie-t-elle d'un rire nerveux. Tout le monde m'attendait vraiment, alors ? Le maître retire sa veste de costume et s'allonge naturellement sur son lit me laissant là, au beau milieu de la chambre, comme un con. « Salut. J'suis Bora, contente de te...enfin, de vous rencontrer. » annonce-t-elle en me tendant la main. Je viens la lui serrer promptement avant de m'incliner respectueusement pour me présenter.

– « Je suis Dong Sicheng, enchanté. » m'empressais-je de dire. Elle me sourit adorablement avant de déposer sa mallette sur l'une des tables de chevets. C'est sûrement le médecin personnel du maître. Mais je suis assez surpris de voir qu'elle est plutôt à l'aise face à lui alors qu'il me paraît si intimidant et antipathique.

– « J'suis désolé d'vous interrompre. J'voulais pas gâcher un moment aussi important... » marmonne-t-elle faisant allusion à quelque chose que je ne comprends pas du tout.

– « Tu es déjà en retard aujourd'hui, alors dépêche-toi avant que je ne m'énerve réellement. » souffle maître Min en relevant la manche de sa chemise. Bora rit audacieusement et ouvre son cabas pour en sortir une seringue. Surpris qu'elle reste souriante alors que son supérieur se montre clairement désagréable, je ne sais plus ce que je suis censé faire ou non.

– « Tu veux que j'fasse ça devant le nouveau ou bien, on l'invite gentillement à aller patienter au rez-de-chaussée ? » se demande Bora en tâtant le poignet de monsieur Min, sûrement à la recherche d'une veine. Je comprends directement le message qu'elle tente de me faire passer alors que le maître observe le plafond, sans grand intérêt. Elle est apparemment la seule à être proche de lui vu la façon dont elle se comporte et s'adresse à lui...

– « Oh, je...je vais sortir. Je vous attends en bas. » annonçais-je gauchement avant de disparaître de leur vue. Mal à l'aise, je descends les marches des escaliers à la recherche de Jaehwan ou du majordome Park. Je fais le tour de la demeure avant de tomber sur la cuisine. Jaehwan est assit sur le plan de travail de la pièce, un paquet de chips en main alors que l'autre homme qui m'avait débarrassé plus tôt, cuisine face à la gazinière.

– « Hé, t'es déjà descendu ? » remarque Jaehwan, obligeant l'autre garçon à se retourner vers moi. Il n'est pas forcément plus vieux que moi non plus. Lui est brun avec un regard envoûtant et un sourire familier. Il ne semble pas non plus être mauvais, ce qui change complètement du comportement du maître Min. Un soupire de soulagement se fait entendre. Heureusement pour moi, je ne tombe pas dans un château habité par des monstres sans cœur.

– « Le maître est sûrement en soin avec Bora vu l'heure. » constate simplement le brun après avoir jeté un œil à l'horloge accrochée au mur. « Moi, c'est Jinyoung. Je suis le cuisinier de cette maison. Content de vous rencontrer. » atteste-t-il d'un signe de la main. La blancheur de ses dents me fait également sourire. Ils sont incroyablement beaux ces deux-là...

– « Vous pouvez me tutoyer, vous aussi. C'est assez gênant de parler aussi formellement alors qu'on semble avoir le même âge...enfin, à peu près. » bégayais-je, peu sûr de moi. Jinyoung s'approche de moi et vient me serrer la main comme à un ami. Jaehwan, lui, continue de se goinfrer, un magnifique sourire sur les lèvres. Ils ont l'air bien ici. Cela signifie certainement que le maître n'est pas aussi désagréable qu'il n'y paraît.

– « Monsieur Dong. Vous avez faim ? » me questionne Monsieur Park en entrant dans la pièce. Sans un mot, il vient frapper Jaehwan pour le faire descendre de son trône avant de mener Jinyoung jusqu'à sa précédente occupation. En tous cas, ils semblent agir sous les ordres de majordome Park ce qui me fait légèrement ricaner...

– « Un peu, oui. » avouais-je sincèrement. La pression incessante que je ressens en moi signifie certainement que je n'ai jamais eu aussi faim de toute ma vie. Soudainement, des cris affreux retentisse de l'étage me faisant même sursauter de peur. Paniqué, j'interroge les trois autres personnes présentent d'un regard effrayé.

– « T'inquiète, c'est normal. Tu finiras par t'habituer. » vient directement me rassurer Jaehwan, visiblement non soucieux de l'affliction que connaît leur maître. C'est presque étourdissant de l'entendre hurler de cette façon. La douleur doit réellement être insupportable pour que ce visage si inexpressif il y a cinq minutes se transforme en une expression de souffrance intense. Je n'ose même pas imaginer ce qu'il traverse, ni ce qui l'oblige à subir ce martyre de lui-même.

– « Depuis quand est-ce que tu te permets de tutoyer nos invités ? » s'offusque le chef du personnel, préparant les plats pour le dîner. Jaehwan se met à rire et dépose son bras sur mes épaules. Il est si amical avec moi. J'espère sincèrement que je m'entendrais avec eux dans l'avenir. Si je dois vivre ici pendant quelques temps, je voudrais avoir la chance de découvrir des gens qui en valent la peine.

– « C'est lui qui l'a demandé ! T'inquiète pas, je ferai bien attention à le vouvoyez quand le maître sera là. Je ne tiens pas à me faire réprimander. » plaisante le blond alors que le majordome Park secoue la tête de droite à gauche, comme désespéré par son comportement enfantin. Les cris ont cessé, laissant simplement le son de la nourriture bouillir dans la casserole et personne ne pense à aller vérifier à l'étage si tout va bien...

– « Bien. Soyons informels entre nous mais lorsque nous sommes en présence du maître, sachons être respectueux envers lui. Sicheng n'est pas au même rang que nous. Son rôle est bien plus important. Si le maître entend qu'on ne le traite pas respectueusement, il risquerait de s'énerver. » commente-t-il, me faisant ouvrir les yeux de plus en plus au fil des secondes. Comment ça pas au même rang qu'eux ? Je n'ai aucune compétence, je suis plus jeune et étranger à cette maison alors pourquoi devrais-je avoir un statut spécial aux yeux de maître Min ? Sans poser de question, j'ai proposé mon aide à Monsieur Park et Jaehwan pour mettre la table dans l'immense salle à manger du château alors que Jinyoung terminait de préparer son plat. Je crois bien que c'est la pièce que je préfère. Celle-ci mène directement à la bibliothèque qui ne cesse de me faire de l'œil depuis que je l'ai remarqué. Je vais sûrement m'intégrer parfaitement à cette maison si les livres me sont permis. La salle à manger est tellement immense que deux énormes cheminées décorent les murs, en dehors des somptueux tableaux d'œuvre d'art et des nombreuses baies vitrées laissant la nature de la forêt se donner en spectacle. Je dénote un magnifique chemin conduisant immédiatement à l'intérieur de celle-ci. Il est décoré de nombreuses fleurs vertes. Leur couleur est presque fluo, comme irréelle ce qui m'attire irrévocablement vers elles. Je me promets à moi-même d'aller les admirer de plus près lorsque le temps et la luminosité du ciel me le permettront. « Votre grand-père les adorait. » me surprend le majordome Park. Il s'approche de moi, les mains liés dans le dos alors que Jaehwan chantonne nonchalamment en faisant des allers-retours de la salle à manger à la cuisine, comme s'il était seul. « Il disait penser à vous en les contemplant. Vous aimez beaucoup les fleurs, n'est-ce pas ? » suppose-t-il d'un léger sourire. Il semble mélancolique en s'adressant à moi. Peut-être qu'ils étaient proches lui et grand-père. Après tout, il vivait ici depuis près de quinze ans. Peut-être est-ce également le cas pour Monsieur Park.

– « Oui. Surtout celles qui ont une couleur verte. Je ne sais pas vraiment pourquoi...je suis étrangement absorber par ce coloris. Ma mère était fleuriste avant. Je passais tout mon temps là-bas après les cours alors j'imagine que... »

– « Dînons. » déclare le maître Min. Je me retourne vers lui alors qu'il fait sa remarquable entré dans la pièce. Malgré les hurlements de tout à l'heure, son visage est toujours aussi glacé et fermé. Ses émotions sont tous simplement impénétrables. Il m'a interrompu sans même poser les yeux sur moi, à croire qu'il évite un quelconque contact visuel ou qu'il a sûrement l'habitude de ne pas être très fusionnel avec son personnel. Il prend somptueusement place en bout de table, empêchant Jaehwan de continuer sa démonstration créative au même moment, l'incitant même à revenir sur ses pas. Le chef du personnel me fait signe d'aller m'asseoir avant de rejoindre la cuisine pour prévenir les autres. « Nous irons parler du contrat après le dîner. Vous pourrez vous joindre à moi dans la bibliothèque. En attendant, dînons. Je meurs de faim... » J'hoche simplement la tête, déjà anxieux de nous imaginer seul à seul. Le maître Min ne semble pas avoir beaucoup d'énergie mais cela ne l'empêche pas de jouer un rôle sinistre et inquiétant. Sa peau est éteinte, accentuant les cernes sous ses yeux, rendant sa beauté plus terne qu'elle ne le serait s'il était en meilleure forme. Bora se joint à nous, toujours accompagnée de son sourire ravageur. Rapidement, les trois autres hommes de la maison s'installent à nos côtés. Débute alors un moment de prière. Tous se mettent à prier sauf maître Min...et moi. Je suis comme énigmatiquement absorber par la couleur de ses yeux qui me semblent tout à coup avoir éclaircis malgré la sombre lumière du lustre et de l'extérieur. Lui aussi maintient le regard. Nous nous perdons dans les iris de l'un et de l'autre, malgré ma volonté de mettre un terme à ce jeu mystérieux. Mais je n'y arrive pas. Je ne peux pas me détacher de lui, je suis hypnotisé par ses pupilles qui virent au fur et à mesure au marron clair. Les secondes semblent durer éternellement. C'est comme si le temps c'était arrêté de manière éthérée. Tout se fige autour. Cependant les mots presque inaudibles des autres résonnent toujours en second plan. Il ne modifie pas son expression, il est toujours aussi distant pourtant j'ai l'impression d'apprendre à le connaître en maintenant cet échange. La façon dont ses yeux arrivent à discuter avec les miens est presque féerique, magique. Maître Min...a quelque chose d'indescriptible et alors, la pression que je croyais jusqu'ici dérangeante s'intensifie en moi, traduisant cette compression comme divine et agréable...

Beside me |sugawinwin|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant